Taghjijt L’affaire du blogueur Hazzam
Bachir Hazzam, 26 ans, est détenteur d’une licence en Sciences islamiques et sans emploi. Depuis une semaine, ce jeune sympathisant d’Al Adl Wal Ihssane (Mouvement justice et bienveillance dirigé par Abdeslam Yassine), est sorti de l’anonymat. Taghjijt, sa commune rurale, aussi. Du 1er au 6 décembre, cette commune située à 70 km de Guelmim, a connu des protestations (voir encadré). Le mardi 15 décembre, Bachir fait partie des quatre condamnés suite à ces événements. Il écopera de quatre mois de prison ferme et d’une amende de 500 DH. Il lui a été reproché d’avoir publié sur son blog «Al Bouchra» (la bonne nouvelle), des communiqués du mouvement local de protestation.
Les faits
Convoqué par la gendarmerie de Guelmim le 7 décembre, Bachir sera longuement interrogé sur sa relation avec les manifestants et ses motivations politiques. Sa couleur politique ne semble pas avoir pesé en sa défaveur, vu qu’à ses côtés trois autres jeunes ayant été condamnés appartiennent à des tendances différentes, soit au Mouvement culturel amazigh (MCA), soit à la gauche radicale. Sur le PV n°260 de l’interrogatoire de Bachir, on découvre que blog, blogging ou Blogueur semble être un terme inconnu pour les gendarmes verbalisateurs. On peut lire dans ce document notamment cette phrase : «L'intérressé a reconnu avoir publié un des communiqués des manifestants sur le site :
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.»! Site web ou email ? C’est du pareil au même. A la Wilaya de Guelmim-Smara, une source autorisée nous a confié qu’elle n’a jamais entendu parler du mot «blog», ce qui n’empêche pas que «Bachir, comme les trois autres, ont commis des délits et ont été poursuivies selon la procédure en vigueur», déclare le responsable. A la fin de l’interrogatoire, un premier PV est rédigé, où le jeune est accusé de «nuire à l’image du pays dans le domaine des droits de l’homme à travers la publication d’informations sur des sites internationaux». Ensuite, un deuxième PV sera rédigé où Bachir est plutôt accusé de «publier des informations et des faits erronés pouvant nuire à l’ordre public». Finalement, cette accusation sera rayée de ce fameux PV (voir photo du PV), pour garder une accusation tout aussi grave qui est «l’incitation à la haine, au racisme et à la violence».
Onde de choc
Said Benjebli, président de l’Association des blogueurs marocains (ABM), explique ces faits par «la volonté préméditée d’en finir rapidement avec cette affaire. Garder la deuxième version allait contraindre le Procureur à utiliser l’article 72 du Code de la presse, qui stipule que les accusés ont le droit à 15 jours pour préparer leur défense, chose que les autorités ne voulaient visiblement pas».
Interrogé par L’Observateur du Maroc sur cette affaire, Khalid Naciri, ministre de la Communication, s’est refusé à se prononcer sur cette condamnation «Je ne connais pas en ce moment les tenants et les aboutissants de ce dossier», affirme-t-il. «La liberté des blogueurs est respectée, tant qu’ils se conforment à une éthique et à la législation du pays comme c’est le cas ailleurs», ajoute le ministre. En revanche, S. Benjebli, de l’Association des blogueurs, estime que cette arrestation «démontre clairement que les blogueurs souffrent du rétrécissement de l’espace de liberté. Les arrestations qu’a connues l’année 2009 parlent d’elles-mêmes».
Cette ambiance électrique commence à faire peur aux blogueurs. «Ils s’autocensurent de peur d’être poursuivis», constate le président de l’association des blogueurs. L’ONG américaine Freedom Housse s’inquiète aussi de cette situation : «Nous sommes inquiets de la multiplication des arrestations de blogueurs en Egypte, au Maroc et en Tunisie. Ces gouvernements se cachent derrière des lois répressives pour se protéger contre toute critique».
Fin d’une époque ?
L’année qui se termine n’a pas été de tout repos pour la Blogoma, Hassan Barhoum en sait quelque chose. Il est blogueur et militant des droits de l’homme à Tétouan. Il a été arrêté le 25 février dernier pour avoir présenté une plainte dans une affaire de corruption impliquant un procureur général du Roi près la Cour d'appel de sa ville. Il sera condamné à 10 mois de prison ferme et 5.000 DH d’amende pour «manquement à un membre du corps judiciaire». Il passera cinq mois et sortira après la grâce royale de l’Aïd El Fitr. «Il est inconcevable qu’on arrête un blogueur qui dénonce la corruption alors que normalement celui qui devrait être mis sous les verrous c’est l’agent de l’autorité corrompu», dénonce le président de l’ABM. Par ailleurs, il y a eu également l’arrestation de blogueurs qui filment dans la rue sous prétexte qu’ils n’ont pas d’autorisation. C’est le cas de Mohammed Amine Agherbi qui a été arrêté alors qu’il filmait une manifestation des diplômés chômeurs à Rabat. Il passera deux jours chez la police et il est toujours poursuivi par la justice. Pour S. Benjebli, «c’est une insulte pour un Etat qui se veut démocratique et garant de la liberté d’expression».
La communauté des blogueurs se sent déboussolée et déçue. «Alors que la société évolue rapidement, l’Etat est en mode stand-by. Les autorités ne savant plus quoi faire devant cette nouvelle réalité», regrette, S. Benjebli. Comme ce dernier, nombreux sont les blogueurs qui espèrent que la nouvelle affaire de Bachir Hazzam connaîtra une fin heureuse en Cour d’appel…
Source:
www.lobservateur.ma