La dernière allocution de Mohamed VI le 9 mars 2011, qui annonçait une réforme de la Constitution, faisait également allusion aux populations berbères marocaines. Elles ont bon espoir que leur langue soit enfin officiellement reconnue.
Dans son discours du 9 mars 2011, le roi marocain Mohamed VI annonçait la création d’une commission consultative pour réformer la Constitution. Son allocution avait redonné espoir aux démocrates et, parmi eux, aux populations amazighes (berbères) puisqu’il y a été question de leur identité:
«La pluralité de l'identité marocaine unie et riche de la diversité de ses affluents, et au cœur de laquelle figure l'amazighité, patrimoine commun de tous les Marocains.»
Comment interpréter cette référence aux conflits identitaires qui marquent le pays? Le roi ira-t-il jusqu’à faire de tamazight, variante du berbère, une langue officielle?
Deux langues officielles pour le Maroc
Si les Marocains sont restés méfiants après avoir écouté les promesses du roi, la réponse, apprend-on de sources sûres, est désormais «oui». La Commission dirigée par le constitutionnaliste Abdeltif Mennouni dans son projet de réforme de la Constitution remis au roi le 12 juin dernier (et qui n’est pas encore rendu public), recommande de reconnaître «deux langues officielles pour le Maroc, tamazight et l'arabe» et considère que «les diversités culturelles et linguistiques sont des richesses à préserver pour une société plurielle».
Elle appelle aussi au vote d’«une loi organique au Parlement pour définir les étapes et les modalités de la mise en œuvre officielle de la langue amazighe dans l’enseignement, les médias et les administrations.» Et enfin, «un Conseil consultatif national verra le jour, qui va repenser la place des langues nationales et étrangères pour les préserver.»
Pour Abdellatif Ouammou, membre du Parti du progrès et du socialisme (PPS), qui annonce que «le projet de la nouvelle Constitution offre une avancée historique vers la démocratisation de la vie politique marocaine [...] l’officialisation de tamazight est une grande nouvelle pour tous les Marocains. Elle permettra l’accélération de l’ouverture vers un Etat de droit.»
Le parlementaire rappelle cependant que la partie n’est pas complètement gagnée:
«La nouvelle Constitution sera soumise à un référendum, dit-il. Nous devons donc mener un travail de sensibilisation et d’information auprès des Marocains car beaucoup de gens, comme les intellectuels d’obédience nationaliste, seront mécontents et prôneront un Maroc avec une seule langue officielle.»
Il se veut néanmoins rassurant: «La majorité des partis politiques auditionnés a soutenu l’officialisation.»
Un séisme politique
Les militants de l’officialisation ne veulent pas crier victoire trop vite, même s’ils savent que cette nouvelle produira un séisme politique dans tous les pays de l’Afrique du Nord. Meryem Demnati, chercheuse à l’Institut Royal de la Culture Amazighe (Ircam), attend de «connaître la formulation exacte pour se réjouir. Des rumeurs disent qu’il sera écrit dans la nouvelle Constitution: “L’arabe est la langue officielle du Maroc et elle est suivie par tamazightˮ. Si cette hiérarchisation se confirmait, nous la refuserons.»
Demnati veut une véritable promotion de la langue et des cultures amazighes au Maroc. Echaudée par la mauvaise application des décisions déjà prises dans ce sens (création de l’Ircam, d’une chaîne de télévision en tamazight, enseignement de la langue à l’école), elle veut que «le Parlement s’implique en votant des textes législatifs qui protègent notre langue qui devrait être enseignée à tous les Marocains, arabophones et berbérophones». L’interlocutrice fait ici référence à une idée développée par certains cercles, opposée à l’officialisation de la première langue d’Afrique du Nord et mise en place en Algérie, qui voudrait que tamazight ne soit enseignée qu’à ses locuteurs:
«Ils prétendent que notre langue n’est parlée que dans les montagnes et ils oublient que Casablanca est la plus grande ville berbère du pays.»
Par ailleurs, il existe un grand risque pour que la mise en œuvre d’une politique de promotion de tamazight soit noyée dans les nombreuses exigences démocratiques exprimées par les manifestants marocains.
L’officialisation de cette langue est l’aboutissement d’un long combat qui dure depuis plusieurs décennies au Maroc, où la majorité de la population est berbérophone. C’est aussi une première dans tous les pays du Maghreb. Après le discours royal du 9 mars, le mouvement amazigh, massivement présent dans les manifestations du 20 février, a redoublé d’activités et de contacts. Il est allé jusqu’à menacer les acteurs politiques. Meryem Demnati rappelle ainsi:
«Nous leur avons dit que s’ils oubliaient d’exiger l’officialisation, nous nous considérerions comme des colonisés et nous prendrions alors nos responsabilités.»
Un message qui a été reçu par la classe politique, comme l’indique Ouammou:
«Il fallait trancher et si on avait fait l’impasse sur cette question, cela aurait voulu dire que tamazight est une langue étrangère qui n’a pas sa place dans la Constitution.»
L'Algérie ne prendra pas exemple
L’avenir dira si le roi Mohammed VI retiendra toutes les recommandations d’Abdeltif Mennouni. Sa décision est déjà très attendue par son peuple mais aussi par les pays voisins. En Algérie, où le combat identitaire est vieux de plus de 60 ans, des sources politiques pensent que «l’Etat ne prendra pas exemple sur son voisin et rival marocain.» Un avis partagé par Bouamara Kamel. Ce professeur au département amazigh de l’université de Bejaïa juge que «l’Etat algérien n’est pas aussi honnête ni aussi intelligent que le Makhzen».
Il faut rappeler que, par émulation justement, le chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika a annoncé le 15 avril dans une allocution qui rappelait beaucoup celle de Mohammed VI une commission consultative en vue de réformer la Constitution. L’homme qui avait fait inscrire, en 2002, tamazight comme langue «nationale» seulement et qui continue d’en faire un motif de division du peuple a toutefois prévenu que la révision de la Constitution porterait sur tous les thèmes «hormis les constantes nationales», ce qui sous-entend que la «langue nationale» ne sera pas «officielle».
Ali Chibani |
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