Lors du festival Timitar, Oudaden a fêté, sur scène, ses vingt-cinq ans de carrière. Retour sur le parcours du groupe berbère le plus populaire.
Jeudi 8 juillet, Agadir. La place Al Amal bouillonne. Des milliers de festivaliers ont fait le déplacement. Le Souss entier est là, brandissant drapeaux marocain et amazigh. Tout ce beau monde attend, pas toujours très sagement, qu'Oudaden envahisse la scène. Il est 21 h passées et le public, lassé, exprime son impatience en sifflant les DJ/VJ
Goldenberg et Schemuyle. Alors ils sifflent, eux aussi, avant de laisser la place à ceux que tout le monde attend. Timidement, les six légendes vivantes d'Oudaden s'approprient l'espace, sous une pluie d'applaudissements. Les premières notes sont lancées. Le public, compact, s'avance au plus près de la scène. Là, c'est le feu d'artifice. Visionnaires de la musique berbère, vétérans de la scène amazighe, les Oudaden offrent une musique contagieuse : transe festive, cadence communicative, mélodies jubilatoires… Du soleil pour les oreilles, façonné avec talent, amour et sincérité depuis 25 ans, au rythme d’un album par an.
Pour le plaisir
Retour quelques heures avant le concert, à l'hôtel Atlas Royal. Oudaden donne sa conférence de presse. Mohamed Jemoumekh, porte-parole du groupe et joueur de tam-tam, est venu seul au rendez-vous. Abdullah El Fouah, chanteur et chef de file, n'aime pas trop parler, nous explique le directeur de Timitar, Brahim El Mazned, qui “accompagne Oudaden à titre amical”. C'est donc Mohamed qui doit prendre la raquette. Et assurer le revers, lorsqu'un journaliste trop insistant tente de chercher une once de rivalité entre Oudaden et Izenzaren, l'autre groupe mythique du Souss, mystérieux et militant. Sauf que non, il n'y a aucune concurrence, aucune haine entre les deux groupes. Mohamed n'hésite pas à clamer haut et fort qu'à leurs débuts, Oudaden s'inspirait d'Izenzaren… Point, retour à la ligne. Aux quelques journalistes venus prendre le micro ou tendre l'oreille, Mohamed Jemoumekh parle de leur anniversaire : “Il y a vingt-cinq ans, nous sortions notre premier album. La formation Oudaden, elle, est plus vieille que ça”. Car il en a fallu du temps pour que l'apprentissage, l'initiation et l'inspiration venue des Rwayess se transforment en pop du Souss.
Tout commence à Ben Sergao à la fin des années 1970. Dans cette commune non loin d'Agadir, six voisins, âgés de 18 à 25 ans, se mettent au diapason du répertoire amazigh. Leur truc à eux, c'est de mélanger instruments traditionnels et “modernes”. Abdullah El Fouah, leader, donne de la voix et caresse son banjo, Ahmed et Khalid sont au talunt et à la derbouka, Mohamed Jemoumekh prend le tam-tam, Larbi Amhal le nakou et Larbi Boukharmous la guitare. Puisqu'ils sont voisins, pourquoi ne pas s'appeler “Adjaren” ? Non, leur choix se portera sur Oudaden, du nom des mouflons de l'Atlas. Le groupe écume les fêtes et les mariages, se fait un nom dans la région. Les “mouflons” ne pensent pas à enregistrer d'album, ils jouent pour le plaisir… mais leurs chansons sont immortalisées par leurs admirateurs, armés de magnétophones. Les cassettes circulent, s'arrachent au noir. Au point d'intéresser la société de production Sawt Al Maârif, qui propose au groupe d'enregistrer son premier album, en 1985.
Popstars du Souss
Le succès est aux portes, Oudaden est désormais incontournable. Amzyi adou dergh se vend à plus d'un million d'exemplaires. Les mouflons ont des ailes, sillonnent le monde, vont de Tunis à Zanzibar en passant par les Etats-Unis ou encore les Pays-Bas. Au Maroc, ils jonglent entre les festivals et les mariages avec un naturel déroutant. Une modestie imparable qui fascine Brahim El Mazned. Ce groupe, qu'il écoute depuis l'enfance, l'intrigue au plus haut point. “Lorsque je leur ai proposé de jouer à Timitar en 2004, se souvient le directeur artistique, ils n’étaient pas très chauds. Abdullah El Fouah m'a répondu que son groupe jouait pour le plaisir, que les mariages, ça leur allait très bien, que la cause amazighe, ils la vivaient au quotidien”. Avant de se rétracter, et de donner un concert explosif à Agadir.
Depuis, Brahim El Mazned ne les lâche plus. C'est lui qui les embarque en Malaisie, au Mali, à Zanzibar. “C'est incroyable. De Bornéo à Agadir, les réactions sont les mêmes : le public danse et chante avec eux”, s'exclame le programmateur. Lorsqu'il les emmène en 2007 au “festival au désert”, au Mali, le groupe est simplement subjugué. Leur tente devient l'auberge espagnole, le ministre de la Culture malien vient y prendre le thé, puis ils se rendent compte que la musique du désert ressemble à la leur. Abdullah El Fouah, qui pensait que “les fusions, c'était pour les jeunes groupes”, se ravise. Jusqu'à partager la scène, ce 8 juillet à Timitar, avec des musiciens touaregs rencontrés à Essakane.
Oudaden, le best of
Pour ses vingt-cinq ans de carrière, Oudaden est allé dans un village en Normandie (France), en mai dernier, enregistrer son best of. Sous la houlette de Camel Zekri (compositeur, instrumentiste touche-à-tout), qui a mis à la disposition du groupe son studio, Oudaden prend son temps au milieu des veaux, vaches et cochons. Dans la petite bourgade, il n’y a rien d'autre à faire, si ce n’est de la musique. Même le réseau téléphonique se fait rare. Brahim El Mazned se souvient d'une petite scène de ménage : “L’épouse de l'un des musiciens, n'arrivant pas à le joindre au téléphone, est tombée sur sa boîte vocale. Et donc, sur la voix d'une femme. Elle ne voulait pas croire ou comprendre que c'était un message automatique”… Jalouses, les femmes d'Oudaden ? Ça pourrait se comprendre. C'est l'un des rares groupes amazighs, si ce n'est le seul, à attirer un public féminin aussi nombreux. Parce qu'ils chantent l'amour, qu'il y a une part de séduction, d'envoûtement dans leurs textes, et que leurs rythmes, indomptables, sont indéniablement festifs.
Pas de panique en Normandie, il n'y avait ni les groupies, ni les fans parisiens, ni la diaspora berbère pour s'arracher les Oudaden. Juste les chants d'amour et les rythmes soussis, le regard professionnel de Camel Zekri et la bienveillance de Brahim El Mazned. Ce dernier veut que cet opus, le premier après vingt-cinq ans à être distribué officiellement, soit un bel objet. Qu'un musicologue consacre une vingtaine de pages d'analyses à Oudaden. Qu'ils fassent encore plus de concerts, qu'ils aillent encore plus loin. Qu'ils soient un exemple pour les jeunes groupes. Que le monde les découvre, avant que leur musique ne soit posthume. Qu'ils trouvent un agent pro et qu'ils volent enfin de leurs propres ailes…
Consécration. Au Womex si tout va bien
Enchaînant les tournées (ils seront du 19 au 26 juillet en Belgique, pour six dates au festival d'été d'Anvers où ils donneront des concerts mobiles dans tous les quartiers de la ville), nos Soussis sans soucis ne s’arrêtent pas là. Après s'être rendus au salon Babel Med Music à Marseille, en 2006, les Oudaden sont invités, en octobre, au plus prestigieux salon des musiques du monde : le Womex, à Copenhague, qui réunit depuis quinze ans les plus grands professionnels de world music. Entre showcases, conférences, foire et documentaires, les bookeurs, tourneurs et managers du monde entier sont à l'affût du talent et de la révélation musicale. Sur les 700 groupes en compétition venus de 90 pays, seuls 18 ont été sélectionnés. Nos stars du Souss en font partie. Le meilleur tremplin qui puisse exister, selon Brahim El Mazned, visiblement plus excité que les Oudaden : “Eux ne se rendent pas encore compte. Etre programmé au Womex, c'est tout simplement énorme”.
Source Ayla Mrabet | Telquel