Décédé à 81 ans, Azeddine Laraki a eu une vie bien remplie. Dirigeant de l’Istiqlal, ministre puis Premier ministre, il est à lui seul le symbole d’une époque lointaine, mais décisive dans l’évolution du pays.
Qui ne connaît pas Azeddine Laraki ? L’ex-Premier ministre, décédé lundi 1er février 2009, fait partie de cette race d’hommes politiques éternels ou presque. “La simple évocation de son nom ou de celui de Karim Lamrani par exemple renvoie à une époque aujourd’hui révolue,
explique un politologue casablancais. Ce sont des noms qui évoquent, pêle-mêle, autorité, pouvoir et arbitraire”, conclut notre politologue. Selon la littérature officielle, l’homme que plusieurs hauts responsables ont enterré mardi au cimetière Achouhada à Rabat est un patriote qui a servi son pays avec abnégation, l’un des tout premiers professeurs de médecine du royaume et “un serviteur dévoué du trône”, comme le précise le message de condoléances royal. Mais dans l’esprit de beaucoup, Azeddine Laraki reste d’abord (et avant tout) l’artisan de l’arabisation, très controversée, de l’enseignement au Maroc. Un homme de poigne, très proche de Hassan II, et qui laisse rarement indifférent … même après sa mort.
Istiqlal connection
Azeddine Laraki, c’est aussi l’un des plus vieux leaders de l’Istiqlal. Un parti auquel il a adhéré très jeune (12 ans), mais duquel il s’est progressivement éloigné, lui préférant le faste du pouvoir. Natif de Fès en 1929, le jeune Azeddine Laraki fait ses études secondaires au prestigieux lycée Moulay Driss. Il y coordonne les structures estudiantines du parti. En 1957, il rentre au pays après des études de médecine à Paris. Mais au lieu d’enfiler sa blouse blanche et d’enchaîner les consultations, il se retrouve, un an plus tard, à la tête du cabinet de Haj Omar Benabdljalil, ministre istiqlalien de l’Enseignement. “En fait, raconte ce témoin, Laraki a été le véritable ministre de l’Enseignement puisque Haj Omar Benabdeljalil était très malade. D’ailleurs, se remémore notre témoin, la première décision qu’a prise Laraki a été d’interdire aux services du ministère de transmettre la moindre information aux journaux de l’époque, notamment à Al Alam, pourtant organe du parti de l’Istiqlal”. Cette première expérience gouvernementale sera décisive dans le parcours du Docteur Laraki. Ce dernier gagne en assurance, gravit les échelons partisans et intègre le comité exécutif de l’Istiqlal en 1965. Il ne le quittera qu’en 1982. “La relation entre Laraki et le parti n’a pas toujours été facile, confie un ex-militant de l’Istiqlal. Les archives d’Al Alam contiennent encore des articles incendiaires qui attaquaient Laraki, quand il était Premier ministre. En fait, l’Istiqlal ne lui a jamais pardonné d’avoir pris ses distances avec le parti pour se rapprocher du Palais”.
A mort la philo !
En 1967, Azeddine Laraki obtient son agrégation en médecine et devient, à partir du début des années 1970, l’un des tout premiers professeurs de médecine du royaume aux côtés des professeurs Mesouak, Benomar et Berbich. Mais le véritable tournant de sa carrière aura lieu en octobre 1977. L’homme revient au ministère de l’Enseignement, mais cette fois pour le diriger officiellement. Le pays est alors en pleine ébullition. Les lycées et les universités sont sous le contrôle d’une gauche rêveuse et révolutionnaire. Sur les campus, on lit Marx, Descartes et Averroès. Et cela ne plaît visiblement pas en haut lieu. Le nouveau ministre se lance alors dans ce qui ressemble, à titre posthume aujourd’hui, à l’œuvre de sa vie : arabiser le système d’enseignement et combattre la philosophie, accusée de nourrir la pensée critique de marxistes athées et subversifs. Dans l’esprit du ministre et de ses collaborateurs ultra conservateurs, l’équation est assez simple : le français est responsable de l'aliénation et l'acculturation des élites. Il faut donc revenir à la situation d’avant le protectorat, en arabisant l'Etat et les institutions. A partir de là, à l’école et jusqu’au baccalauréat, toutes les matières, même scientifiques, sont enseignées en arabe. Mais le système, encore fragile, ne suit pas. Le ministère manque de moyens, de cadres et de vision. L’arabisation est un échec total. Des générations entières de Marocains en payent le prix. Mais Laraki est-il le seul responsable de cette politique catastrophe ? “Le parti de l’Istiqlal applaudissait des deux mains. L’arabisation comme outil de modernisation et d’indépendance culturelle est une évidence au sein du parti”, relève un cadre en interne. Une anecdote, rapportée par l’historien Pierre Vermeren, renseigne cependant sur le cynisme de Azeddine Laraki. En rentrant d’une mission officielle à l’étranger, il dit à l’un de ses conseillers à propos de la polémique soulevée par l’arabisation de l’enseignement : “Et si on leur mettait (aux étudiants) un peu de berbère pour les embrouiller un peu plus”. Sur le front de la philosophie, Azeddine Laraki et ses proches collaborateurs se lancent dans une lutte sans merci contre les manuels jugés subversifs ou contraires à la religion. Un ancien professeur, qui avait à l’époque tenté d’intégrer des éléments de la pensée islamique dans les cours de philo, témoigne : “Laraki m’avait expliqué sèchement que c’est la pensée islamique qui devait contenir la philosophie, et non l’inverse”. En octobre 1981, une note ministérielle remplace officiellement les cours de philosophie par une filière bâtarde : les études islamiques. Une page est tournée. “Toutes ces initiatives étaient bien accueillies par le Palais et les sécuritaires de l’époque, qui voulaient à tout prix contrer les gauchistes”, insiste un militant associatif.
Adieu Istiqlal, adieu tout
En 1986, le dévouement de Laraki est récompensé par le roi Hassan II qui le nomme Premier ministre… sans étiquette politique. Les cadres de l’Istiqlal le prennent comme une traîtrise et attaquent violemment son gouvernement. En 1989, Azeddine Laraki a même dû faire face à une motion de censure présentée par l’opposition de l’époque. Mais l’homme tient bon. “Il a été un Premier ministre assez effacé. Il a géré le quotidien et exécuté les consignes de Hassan II sans broncher”, relève un journaliste qui l’a fréquenté à cette période. En décembre 1990, de violentes émeutes éclatent à Fès. Elles sont réprimées dans le sang, mais le Premier ministre est aux abonnés absents. En 1992, Laraki quitte la primature mais pas la vie publique. Il est nommé président du conseil d'administration de l'Université Al Akhawayn d'Ifrane puis de la prestigieuse (mais néanmoins inutile) Organisation de la conférence islamique en 1996. Remplacé par un autre Marocain (Abdelilah Belqziz) en 2001, on reconnaît à Laraki d’avoir assaini les comptes de l’Organisation et d’avoir cassé le monopole qu’avaient certaines nationalités sur ses postes-clés. Sous Mohammed VI, Laraki a choisi de rester dans l’ombre, n’apparaissant qu’à de rares occasions publiques et ne se prononçant sur aucun débat politique.
BIO express
1929. Naissance à Fès
1942. Intègre le parti de l’Istiqlal
1957. Obtient son doctorat en médecine à Paris
1958. Dirige le cabinet du ministre de l’Enseignement
1977. Devient ministre de l’Enseignement
1986. Nommé Premier ministre par Hassan II
1996. Élu à la tête de l’Organisation de la conférence islamique (OCI)
2010. Décède à Rabat à l’âge de 81 ans
Source:
www.telquel-online.com/410/actu_maroc1_410.shtml