Ce livre de Mohamed El Manouar constitue une contribution majeure à la
littérature du mouvement amazighe au Maroc. Conçu de manière
pédagogique, écrit dans une langue accessible pour tous, il inscrit la
problématique de l’officialisation de la langue amazighe dans un cadre
général et mondial. Arguments historiques, juridiques, sociologiques et
politiques à l’appui, ce livre est un regard serein et sans concession
sur le multilinguisme dans le monde et les politiques linguistiques
adoptées par les Etats à travers la planète
un argumentaire crédible et dépassionné, interpelle les intellectuels
et déconstruit les topiques totalitaires et les discours monolithiques
qui conçoivent la diversité linguistique comme source de
désintégration. Il affirme, sans ambiguïté aucune, l’obligation pour
l’Etat d’officialiser l’amazighe dans ses textes fondateurs. Un livre
qui force notre respect et milite en faveur d’une objectivité
salvatrice qui offre une alternative civilisationnelle à la coexistence
fructueuse des langues et des cultures.
L’auteur :
Natif d’Amednagh, Lqalâa n Imgoun, Lakhmis d Dades dans la province de
Ouarzazate, Mohamed El Manouar, après avoir été au service de
l’administration marocaine dans plusieurs secteurs administratifs et
financiers, à l’intérieur et à l’étranger entre 1973 et 2003, est aussi
écrivain et chercheur.
Historien et publiciste de formation, il s’intéresse à une variété de dimensions de la société rurale marocaine.
Ses publications focalisent l’organisation sociale, la résistance, le
droit coutumier et le développement local dans certaines de ses
dimensions.
Pourquoi cet ouvrage ?
Comment s’articule-t-il ?
Quelle finalité ?
Cette réflexion volontariste dont le texte élaboré en 2005, dans un
contexte particulier, est une sorte de plaidoirie, une réponse et une
mise à disposition d’un argumentaire objectif à l’adresse des militants
de la mouvance culturelle amazighe, des intellectuels non corrompus,
une conviction partagée par les plus justes, confortée par le droit.
Une plaidoirie en hommage à la langue amazighe qui, sans sa
reconnaissance par les textes fondateurs du pays, risque de disparaître
au fil des quelques temps à venir et avec elle tout un pan d’un
patrimoine universel prestigieux, plusieurs fois millénaire, à cause
des profondes mutations que connaît et connaîtra notre société en
termes d’urbanisation, d’exode, de globalisation et d’assimilation. Les
antidotes dont bénéficiait cette culture par le passé disparaissent
aujourd’hui sous nos yeux.
Une réponse, une réplique à toutes les inepties colportées par ceux qui
considèrent la langue amazighe, comme un patois sans importance. Sa
reconnaissance comme source de dislocation, de déstabilisation de
l’unité nationale, une source de conflit. Son apprentissage, une perte
de temps, une gabegie. Ce discours est désuet, suranné, car il ne
repose sur aucune considération objective et convaincante.
Un argumentaire juridique, historique, sociologique, linguistique
opposable aux tiers. Une problématique qui s’ancre dans les
préoccupations actuelles de la société civile et des organisations
internationales. Un cas qui n’est pas isolé. Il est le microcosme de la
problématique identitaire des sociétés multiculturelles que
représentent plus de 91% des collectivités de cette planète.
L’unilinguisme étant une rare exception.
Une conviction, une nécessité d’officialiser, de reconnaître
l’amazighité dans toutes ses dimensions dans les textes fondateurs de
l’Etat. Cette reconnaissance présidera, à coup sûr, à une plus forte
implication des citoyens amazighe dans l’appartenance à ce pays, qui
est le leur. Cette reconnaissance implique une plus forte cohésion
sociale de toutes les composantes du pays. Sa non reconnaissance
engendra des résistances, des amertumes apparentes ou occultes qui vont
nourrir des sentiments d’exclusion et de révolte.
L’approche adoptée consiste donc à construire, à articuler cette
investigation sur un schéma qui va du général au particulier. Autrement
dit, le singulier, l’amazighité s’inscrit parfaitement dans le général,
l’universel. L’amazighité est loin d’être un cas scolastique isolé, une
découverte exotique et insolite. Elle est un cas parmi tant d’autres
dans le monde d’aujourd’hui. Elle est une revendication d’identité, de
langue et de culture. Elle est un cri contre l’oppression, l’hégémonie,
la répression. Elle est une façon de revendiquer sa nature, sa
substance, sa culture, ses racines dans un terroir confisqué, envahi,
occupé, colonisé par une minorité éprise de rapine, de dépravation et
de sauvagerie.
Notre approche consiste donc à prospecter la langue dans ses enjeux
pluriels, son instrumentation, à cerner certaines réalités uni et
multilinguistes et de clore, d’analyser la situation qui prévaut dans
notre région, prélude à l’incontournable nécessité de reconnaître,
d’officialise dans les textes fondateurs des Etats et dans la pratique
quotidienne la réalité amazighe.
1- Les enjeux de la langue :
La langue est instrumentalisée comme un moyen d’émancipation,
d’identité, de définition des nations, de sécession et de domination.
Elle est certainement un moyen de communication, de pensée, une manière
d’être. Au-delà, la langue a toujours été perçue dans une dialectique,
une vision manichéenne qui oppose des concepts : langue/dialecte.
Menaces qui pèsent sur les langues et les cultures. D’où la nécessité de leur sauvegarde.
Instrument d’émancipation :
Cas des républiques de l’Asie centrale qui ont consacré l’abandon de la
langue russe et l’adoption des langues locales, ouzbek, turkmène,
tadjik, kazakh et kirghize. Après l’effondrement de l’URSS en 1991, le
problème des langues devint une préoccupation majeure. La revendication
linguistique a fortement marqué les événements qui agitent les
républiques d’Asie centrale depuis le milieu des années quatre vingt.
D’identité :
L’affirmation identitaire revêt plusieurs formes : caractère territorial, histoire, traditions, religion, mythes fondateurs :
Exemples :
Territoire : Israël, Inde
Histoire : la Bretagne et l’Arménie.
Religion : l’Irlande et les principautés roumaines.
Les mythes fondateurs : les peuples Celtes, Slaves, Tchèques.
Les nations baltes avaient fondé leur éveil national au XIXème siècle
sur l’Histoire, le territoire, l’ethnographie, la linguistique.
Estonie : la langue a joué un rôle principal de « marqueur identitaire ».
Les estoniens et les lituaniens sont des peuples qui avaient connu les
affres de l’occupation étrangère, ce qui explique qu’ils avaient vécu
comme des marginaux dans leurs propres pays.
L’Hébreux :
La renaissance de l’hébreu a dynamisé le réveil de la conscience juive selon la triptyque : peuple, terre, langue.
La vison d’Eliezer Ben Yéhouda : 1878, il quitte l’Allemagne pour
Jérusalem. En 1890, il créa une commission de la langue hébraïque.
Religion, langue et politique : cas de l’Inde et lePakistan.
L’ourdou symbolise l’Islam, le Hindi, l’Indouisme et le Panjabi, le Sikkhisme.
Montaut souligne que :
« Pas de cohésion démocratique sans sentiment de représentation de
chaque groupe et sans possibilité de participation au développement
culturel et social ».
De définition des nations :
Alliances basées sur l’outil linguistique, sur la langue. Alliances dont les frontières se dilatent au gré des circonstances.
Cas de l’Egypte et de la Syrie est à ce point de vue éloquent.
Les notions de al qawmiyya ( à connotation linguistique) et al wataniyya (à connotation patriotique).
De là découle les notions du nationalisme arabe au singulier et au pluriel.
La revendication de l’identité arabe permet de mobiliser le soutien des pays arabes notamment au moment de crise.
De sécession :
Le cas du Sri Lanka (Ceylan) : le singhalais, langue majoritaire, le tamoul, minoritaire.
De domination :
Cas de la France, de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la Chine.
Système jacobin, centriste qui impose sa langue et péjore les langues locales.
Les rapports entre les langues transposent ceux des communautés en présence :
Les moyens utilisés : la religion, les constitutions, l’école, les élites locales, les domestiques…
Hamidou Kane : « L’école étrangère est la forme nouvelle de la guerre que nous font ceux qui sont venus ».
L’Empire Ottoman : le turc Osmanli
L’Empire romain : le latin.
L’Arabe, le portugais, l’espagnol, le français, l’anglais, le russe, le mandarin.
Manipulation des langues :
Cas de l’Inde, du Pakistan : l’Ourdou, le hindi, l’Hindoustani
Rôle des médias, de la chorale
La Grèce : la langue dimitiki et katharévousa
L’Ile Maurice et la Réunion
L’Albanie : le Tosque et le Guègue
La Yougouslavie : le serbo-croate est la principale langue.
Il s’agit en réalité de plusieurs langues : le serbe, le croate, le bosniaque, le monténégrin
L’Amérique du Sud : le quechna, le nahuaa, l’espagnol : face à
l’espagnol, les langues locales se maintiennent et évoluent
normalement. Par contre, les langues indiennes d’Amérique du Nord sont
menacées face à l’anglais.
2- Le multi et l’uni-linguisme :
Plus de 91% des Etats du monde sont dans une situation de
multilinguisme. 40 % des Etats ont des minorités linguistiques de
moindre importance notamment en Europe et en Amérique du Sud. 160 Etats
sont confrontés à des minorités difficilement contournables : cas de
l’Afrikaans en Afrique du sud. Des majorités minorisées, déchirées, cas
des imazighen au Maroc.
L’Asie, l’Afrique et l’Océanie sont dominées par un multilinguisme accentué : 70 % de la population mondiale.
La planète compte environ 6700 langues, soit une moyenne de 29,9 langues par pays :
L’Inde : 380 langues, le Cameroun : 269, les Philippines 160, le Pakistan 67, le Kenya 59, Madagascar 50.
L’unilinguisme est une exception. Sur 224 Etats, seuls 29 sont
linguistiquement homogènes, soit 12,9 % : 7 en Amérique, 4 en Afrique,
7 en Europe, 7 en Asie et 4 en Océanie.
Paradoxalement : 80 % des Etats de la planète ont opté pour une politique d’unification linguistique.
D’autres 20 % ont opté pour un multilinguisme pour des raisons de
stabilité et de paix sociales, d’autres pour une langue étrangère,
d’autres pour assimiler les collectivités tout en les reconnaissant.
Une chose est certaine, la reconnaissance ne rompt pas avec les
antagonismes qui se manifestent dans ces sociétés multiculturelles.
Cas de la Finlande, du Canada, la Suisse, l’Irlande, Hawaï.
Situation du bilinguisme dans le monde :
En Océanie : 7 Etats sur 13 sont constitutionnellement bilingues.
En Afrique, sur 53 Etats, 16 sont bilingues.
En Asie, sur 44 Etats, 7 sont bilingues.
En Europe, 8 sont bilingues.
En Amérique, sur 34 Etats, 2 sont bilingues.
La reconnaissance des langues nationales :
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La Suisse
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La Belgique
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L’Espagne
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Malte
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L’Afghanistan
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Le Niger
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L’Afrique du Sud
-
Le Rwanda
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L’Erythrée
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Les Seychelles
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Le Brésil
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Le Pérou
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La Colombie
-
Le Nicaragua
3- Le cas du Nord de l’Afrique :
La domination d’une langue s’élabore à partir d’une idéologie et des moyens mis en œuvre pour la faire aboutir.
Le cas du nord de l’Afrique est assez particulier et mérite toute notre attention. Il est l’objet principal de cette réflexion.
Il me semble qu’il ne faut pas perdre de vue certaines observations capitales :
Les autochtones ne sont pas une minorité, ils sont une majorité minorisée, déchirée à dessein.
Le nord de l’Afrique depuis le Nil jusqu’aux îles est le terroir des imazighen. Il n’est pas et ne sera jamais arabe.
Les imazighen ont opté pour la religion et non pour l’arabisme.
La période coloniale :
Système jacobin : imposition de la langue du colonisateur
La décolonisation :
Evacuation de la spécificité amazighe
Arabisation démagogique
Alphabétisation
Rejet de la dimension amazighe
Le mouvement national:
Triptyque : arabité, islam, nation.
Souhait de fonder un parti unique et solidarité avec le monde arabe.
Lutte contre la dimension berbère et rurale.
Rejet de la dimension réelle du pays : l’amazighité.
Falsification de la véritable histoire du pays. Ignorance
de l’Antiquité amazighe, suppression des études berbères,
dialectisation de la langue amazighe, arabisation sauvage à outrance.
Interdiction des parlers amazighes.
Morcellement du monde amazighe.
Abolition du droit coutumier amazighe.
Le mouvement culturel amazigh :
La résistance armée.
Œuvre de pionniers solitaires.
Discours du Professeur Chafik à l’Académie du Royaume.
Manifeste d’Agadir.
Groupe Chafik.
Manifeste du Rif.
Communiqués des associations culturelles.
Les prémices d’une mutation :
Tentative de création de l’Institut des recherches berbères.
Discours Royal 1994 : Feu Hassan II soulève le couvercle.
Med VI : discours du Trône.
Discours d’Ajdir.
Création de l’Ircam.
4- L’Officialisation de Tamazight :
De l’officialisation :
Les enjeux
Les positions de la société civile et politique
Une sorte d’amazighophobie :
- La peur
- La reconnaissance.
- L’unité, la diversité loin de l’adversité.
Les enjeux pour affronter les défis de la modernité :
- La reconnaissance
- L’identité première, fondatrice
- Le système fédéral
- La laïcité
- Le pluralisme
- Les droits
- Les devoirs
- L’éthique
- La représentativité
Et de clore, je dirais avec Mao Tsé-Toung : « La vraie culture, celle
que personne n’a encore jamais eue, c’est être de la masse et avoir la
parole ». Mieux encore, je dirais que les langues des imazighen
commencent à se délier, honni le paradigme de l’arbitraire, de la
pensée unique, forcément inique, arabiste aux abois.
Préface
« Il vaut mieux allumer une bougie que de râler contre les ténèbres »
dit le proverbe chinois. C’est le but que se propose Mohamed El
Manouar, l’auteur de ce travail : apporter une contribution pour une
petite lueur de clarté pour vaincre l’obscurantisme!
L’ostracisme dans lequel est maintenue cette identité pose une question lourde de signification.
Les intellectuels, défenseurs de tous les patrimoines, ne semblent pas
être marocains. Ceux-ci, s’ils ne se déclarent pas être ouvertement
pour la mort de Tamazight, ils se terrent dans un silence de mort.
L’arrogance des uns, animés par un mépris légendaire contre cette
identité, attise toutes les formes de réaction que nécessite une
survie vivace de plusieurs millénaires.
Pour les autres ils participent au complot du silence oubliant que « le silence et le sang vont de pair ».
Pour les imazighen, le danger ne réside pas dans la dictature imposée
par cette classe pseudo intellectuelle, mais par leur immense
propension à l’obéissance aveugle et sans limite pour leur propre
négation.
D’un coté un mépris total et de l’autre une passivité dépassant tout entendement.
Ingrédients dangereux et explosifs. Nous sommes un peuple d’aliénés.
Notre apport à l’humanité a été occulté.
Notre apport aux religions monothéistes : juive, chrétienne et musulmane a été balayé d’un revers de main désinvolte.
Notre Histoire est réduite à une « mascarade » insupportable puisque la première leçon commence par l’Arabie !
Nous sommes un peuple sans âme.
La meilleure aventure humaine est la rencontre avec l’autre, cette
rencontre exige sa propre reconnaissance. Cette rencontre est
impossible dans la laideur de l’uniformité et de la négation de soi.
Elle ne peut être pleinement vécue que dans le cadre de la beauté de la
diversité creuset de dynamisme, de créativité et de respect.
L’auteur, par conviction, s’accroche à la seule voie qui vaille : la
pédagogie du dialogue et d’explication, seule manière d’être fort en
dehors de toute violence.
Cette pédagogie du dialogue est la seule lutte valable contre ceux dont
la contribution à l’injustice révèle leur posture cynique.
Sa « révolte » est sereine. Elle a la sérénité du « bon droit », la sérénité de la conviction.
Cette « révolte » n’est pas destructrice, c’est un questionnement suite
à une mise en cause, c’est un sursaut salutaire, un hymne à la vie,
hymne à la dignité dans la dignité. C’est à partir de soi que l’on
construit sa dignité, sa liberté, son rêve.
Aujourd’hui, la reconnaissance identitaire est une donnée évidente dans
le cadre des « Droits de l’Homme » que notre pays a signés et reconnus,
alors quel est notre problème?.
Nos Intellectuels défendent les droits palestiniens, irakiens, de la Tchétchénie…pas kurdes et pas amazighs !
Nos politiques signent des conventions internationales pour les ignorer
ou les mépriser oubliant que c’est leurs propres engagements qu’ils
méprisent.
Le mensonge est avilissant, notre peuple vit dans le mensonge. Des voix
s’élèvent parfois ici et là contre cette situation sans grand succès
certes, mais avec grand espoir pour le devenir de ce pays. Des forces
occultes « freinent des quatre fers », mais l’espoir est permis et
l’avenir est à l’équité.
Nous terminons en paraphrasant Chabbi :
« Si le peuple, un jour, aspire à la vie, le destin sera au
rendez-vous, La nuit s’effacera et les chaînes qui l’entravent se
casseront. »
Notre nuit a été longue, notre aube commence à pointer.
Source: Amazighworld