Les oasis du Sud-est accueillent le printemps (tafsut) avec les chants et les youyous de ses femmes ! Quelle déception pour les voleurs qui veulent que les fleurs de ces jardins ne versent que les larmes ! Après le groupe Saghru, d’autres fleurs de ce printemps fleurissent : Angmar, El Ouardy, Omar Aït Said, Imenza, Isnayen et TIFA.
Après une participation vocale dans le dernier album de son grand frère
Moha Mellal « Angi », Saida Mellal sort son premier album en duo avec
sa nièce Aicha. En effet, si la chanson moderne amazighe dans le Sud-est vit son printemps, dans ce premier album « FAD » (la soif) de groupe TIFA, les saisons n’ont aucun sens, tout dépend de l’état d’esprit de la personne, des puits secs au moment où la neige couvre les entrées des demeures.
Deux thèmes dominent les titres de l’album : d’un côté, la nature dans ses petits détails indescriptibles sauf par un peintre passionné. De l’autre côté, la vie avec ses questions existentialistes que seul un grand poète expérimenté peut y répondre. Dans les deux cas, Moha Mellal, l’auteur des paroles de l’album est une référence. Il a su apporter des réponses à ces questions en tant qu’artistes-peintre et grand poète.
TIFA avec ses lumières vient rendre hommage à la femme amazighe et l’inciter à continuer le combat, le combat pour la liberté :
O les femmes amazighes debout, les étoiles du soleil sont levés
Prenez les cordes aux aires de séchage sur les collines
Portez les habits, la nourriture et l’eau
Aux braves cavaliers qui portent leurs armes
Portez les armes, ils nous ont désapproprié de notre terre
Ils ont pris le puits et la source
Afin de faire connaître au public les nouveaux talents, nous avons l’honneur de vous présenter le groupe TIFA que nous avons interviewé. Nous tenons à remercier Saida MELLAL d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous parler de vous en quelques lignes et qui a eu l’idée pour réaliser cet album ?
Le groupe TIFA vient de naître à travers l’idée de Moha qui a constaté un talent de chant chez moi et que j’avais, moi-même, auparavant constaté chez ma nièce Aicha. Etant jeunes (22 ans) sans expérience ainsi que notre nature de filles timides, nous avons rencontré des problèmes pour s’introduire dans le chant professionnel avec tout ce que ceci implique de performance en live le travail sur une nouvelle poésie…
Tous les jeunes de ma famille se sont mobilisés pour mettre en place ce premier travail. Moha s’est occupé des paroles, Driss de la composition musicale et l’enregistrement, Abdellatif la conception artistique, Lahsen et Said on apporté un grand soutien même s’ils sont à l’étranger, Fatima le financement du projet, sans oublier l’encouragement des parents.
Pourriez-vous nous parler de ce travail en amont ?
Ce travail est un grand plaisir pour toute la famille, on a oublié la fatigue des compositions, des enregistrements et parfois des difficiles choix des idées. La joie d’être les premières filles de tout le Sud-Est à chanter des textes bien choisis avec une musique moderne, dépasse la fatigue et les dépenses du travail.
Dans cet album, nous remarquons la participation de presque tous les membres de votre famille ! Est-ce qu’on peut parler d’un projet familial ?
La participation de toute la famille n’est pas étrange car ils travaillent déjà bénévolement pour les autres qui veulent bien participer à la renaissance de notre culture amazighe. Abdellatif a crée déjà une dizaine de conception pour les photos des CD de quelques artistes amazighs, Moha a donné déjà des poèmes pour cultiver un goût élevé dans la chanson amazighe, Driss a déjà enregistré pour des musiciens et chanteurs amazighs, Lahsen de Pays-Bas n’a jamais hésité à mettre à leur disposition tous ce qui est nouveau dans le monde des enregistrements…Voilà ils sont là pour aider comme les autres les aident pour le bien de notre culture.
Quelle charge symbolique voulez-vous véhiculer en choisissant « TIFA » comme nom du groupe et « FAD » comme titre de ce premier album ?
Après de nombreuses discussions entre les membres de la famille. Nous avons décidé de choisir TIFA comme nom du groupe. Nous avons pensé à un mot amazigh qui résonne et simple pour la prononciation. Ensuite, qui est une grande charge symbolique : TIFA ce sont les premières lettres de TIFAWT qui signifie parfois la lumière parfois l’aube.
Le nom de l’album est FAD : l’idée est venue à travers l’un des textes chanté dans cet album et par la grande soif de notre région pour la noble chanson amazighe notamment avec des voix féminines.
Après votre participation avec ta voix dans le dernier album de MALLAL «Angi », qu’elle est la réaction de votre entourage ? Avec cet album, êtes-vous prêtes à aller à la rencontre de votre public en chantant en live ?
La réaction de l’entourage familial est toujours positive. Nos parents sont ceux qui ont semé les premiers grains de l’art dans la famille. Ils sont toujours fiers. Pour le public, je ne crois pas que nous sommes prêtes à chanter devant le public, car nous sommes les plus timides de la famille mais je crois que l’encouragement des Imazighens et toute la famille nous pousserons un jour sur scène devant un public.
Comment expliquez-vous l’absence des voix féminines dans le domaine artistique dans la région du Sud-est marocain ?
L’absence de la femme dans la chanson du Sud-est est due aux relations familiales plus complexes et la conception envers l’honneur de la famille et de la tribu. C’est un grand fardeau qui a tué pas mal d’énergies artistiques chez la femme amazighe au Sud-est et notre album FAD vient casser ce millénaire Tabou.
Donc, en tant que femme, vous êtes obligées de soulever des montagnes particulières pour la réalisation de cet album ?
Dans notre société, la femme chante dans des contextes limités comme les mariages et à voix basse pendant ses travaux domestiques ou champêtres. Même dans la danse d’Ahidous, les femmes chantent en groupe pour ne pas distinguer et reconnaitre leurs voix et en général elles n’ont qu’à répéter ce que les hommes leur dictent !!! Sans oublier qu’il y a des tribus où même la danse d’Ahidous n’est pas autorisée qu’aux femmes-divorcées !!!
La femme qui chante hors ces contextes est mal vue et rejetée par la société. Dans le Sud-est, au contraire à d’autres régions, c’est difficile de trouver une femme chanteuse et la plupart des artistes font appel à des « cheikhates » originaires d’autres régions pour les accompagner dans leurs chants, ce qui renforce cette vision dévalorisante envers le chant et la musique en général.
Je peux vous dire une chose, ma région est connue par un genre poétique qu’est Timnadin dans lequel la femme a bien exprimé, à basse voix, ses chagrins et ses souffrances dans un rythme triste. Donc, notre démarche est de chanter seulement à haute voix ce que ces femmes chantent à basse voix en espérant d’ouvrir la voie à d'autres filles afin de chanter à haute voix et changer un peu les mentalités. La musique moderne n'est pas contradictoire avec les chants d’Ahidous ou Timnadin, ce n'est qu'une autre ouverture vers le monde.
Votre dernier mot ?
Cet album est un cadeau pour notre culture amazighe avec la voix de deux jeunes filles de la campagne, un défi de la nature par la poésie et le chant. Rien qu’être soutenues, encouragées par les nôtres avant quelqu’un d’autres est déjà une bonne récolte dans nos champs. Les sept chansons de l’album sont là pour vous dire quelques choses de profond, écoutez les.
Par Hamid Belkassem