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Depuis le printemps 2007, le gouvernement marocain a procédé à des arrestations massives contre les militants berbères et interdit un parti politique. Dans le même temps, des groupes de pression encouragent les autorités à abandonner l’enseignement du berbère. Pour comprendre l’évolution récente de la question amazighe au Maroc, Rezki.net publie un entretien en deux parties avec Anir Bouyaakoubi, étudiant-chercheur et membre de l’organisation Tamaynut Maroc. Dans un premier volet, nous allons aborder l’enseignement du berbère et le lien entre la revendication linguistique et la politique.
Rezki.net : Récemment, un rapport est paru au Maroc concernant l’enseignement. Il a été publié par le Conseil supérieure de l’Enseignement. Que dit ce texte, notamment sur l’amazighité ? Anir Bouyaakoubi : Premièrement je précise que les idées que j’exprime ici sont les miennes et ne reflètent pas forcément les positions de Tamaynut. En fait, ce rapport est venu apporter une sorte d’évaluation sur presque dix ans de réformes dans l’enseignement, depuis la parution de la Charte nationale de l’éducation et de la formation. En gros, ce document conclue à un échec. Ce qui nous intéresse en tant qu’acteurs associatifs, militants et chercheurs dans le domaine de l’amazighe, c’est la manière dont est qualifiée la langue amazighe, donc la place de l’amazighité dans ce rapport. Pour les décideurs, parmi les raisons de l’échec du système scolaire, il y aurait, implicitement, l’intégration de l’amazighe, qui est pour eux une charge de plus. Or, cet échec précède l’introduction du berbère à l’école. Tout le monde le sait.
Deuxièmement, ce rapport joue sur quelques mots et quelques expressions qui nous poussent à supposer une volonté de désengagement du gouvernement marocain par rapport à l’enseignement de l’amazighe. D’abord parce qu’en parlant de la langue arabe, le texte la qualifie de « langue nationale ». Pourtant, même la Constitution ne qualifie par l’arabe de langue nationale.
D’ailleurs, le texte insiste sur l’idée qu’il faut poursuivre l’arabisation et ensuite s’ouvrir aux langues étrangères : le français, l’anglais, l‘espagnol, notamment. Ensuite seulement, le texte évoque l’amazighe en déclarant qu’il faut permettre au maximum de personnes d’apprendre tamazight, parce qu’il constitue un « patrimoine commun de tous les Marocains ». On remarque que l’amazighe n’est qualifiée ni de « langue », ni de « dialecte », ni de langue nationale ni de langue « régionale ». Elle n’est, enfin de compte qu’un « patrimoine ». La formulation est vague et ambiguë.
Même l’expression « permettre au maximum » n’est pas précise. Est-ce que cela veut dire que l’enseignement de l’amazighe ne doit pas être obligatoire ? Quelles sont les mesures à prendre pour atteindre ce « maximum » ? Et pour quelles raisons le reste des élèves, le minimum restant, ne pourrait pas apprendre l’amazighe ? Pourquoi l’arabe est obligatoire pour tous les Marocaine alors que l’amazighe ne doit pas l’être ?
Finalement, la formulation n’est pas claire et cela montre une volonté de désengagement de l’Etat concernant l’amazighe après six ans d’intégration officielle dans le système éducatif marocain. Je parle de désengagement, car ce que j’ai cité dans ce rapport concernant l’amazighe n’est pas isolé, il est lié à d’autres positions exprimées par des hauts responsables. Je pense notamment à deux interviews parues dans la presse. L’une d’elle est un entretien accordé par Meziane Belfekih, conseiller du roi et l’autre une interview de Ahmed AKhechichen, ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation des cadres.
Meziane Benfekih propose de revoir le statut de l’amazighe dans l’enseignement. Pour moi, cela signifie aller dans le mauvais sens. Les accords entre l’Ircam et le ministère concerné prévoyaient de généraliser et de standardiser cette langue et rendre obligatoire son enseignement. Le conseiller propose donc de revenir sur ces principes. Dans l’autre interview, le ministre de l’Education affirme que les Marocains sont monolingues, choses évidemment fausse, sauf si on parle des Marocains qui ne parlent que l’amazighe ou les autres qui ne parlent que l’arabe marocain la « darija ».Le responsable poursuit en évoquant les perspectives d’apprendre les langues étrangères : le français, l’anglais l’espagnol... Il a même cité le chinois. Aucun mot sur l’amazighe. Pour moi, il est impensable qu’un ministre puisse parler de l’enseignement des langues au Maroc sans parler de l’amazighe, sauf s’il considère que l’expérience menée depuis six ans ne fait pas partie de ses préoccupations. Voici en gros la situation actuelle. L’avenir de l’amazighe est flou au vu de ces différentes déclarations. Ce sont des propos qu’on peut qualifier de méprisants.
Aujourd’hui, il existe de sérieux blocages contre l’amazighe. Qui est derrière ces blocages ? Pour l’enseignement de l’amazighe il est entre deux cadres juridiques. D’une part la Charte nationale de l’éducation et de la formation et les décisions royales via l’Ircam . Pour le ministère de l’Education la Charte nationale de l’éducation et de la formation adoptée à la fin des années 90 constitue sa référence. Alors que ce texte, dont le mouvement amazigh n’a pas participé à l’élaboration est rejeté par le mouvement amazigh parce que le seul article qui traite du berbère propose d’utiliser cette langue pour faciliter l’apprentissage de l’arabe, la langue officielle. A la création de l’Ircam, le mouvement amazigh pensait que cette charte était enterrée, au moins en ce qui concerne l’amazighité. Le gouvernement était tenu d’appliquer les décisions royales. Mais dans les faits, on peut constater que les ministres appliquent la Charte et désobéissent au roi. C’est à se demander si les décisions royales sont suivies par les ministères. Voilà pour l’aspect juridique.
Sur le plan strictement politique, il existe des lobbies amazighophobes à l’intérieur de tous les rouages de l’Etat marocain et à tous les niveaux. Ces groupes de pression, chacun selon son champ d’intervention, bloquent toute initiative en faveur de l’amazighité. Cela doit pousser le mouvement amazigh à s’organiser avec d’autres méthodes de militantisme.
Par exemple ? D’abord toutes les composantes du mouvement amazigh doivent être convaincues de l’importance de l’unité pour arracher les revendications amazighes. Cette unité que le mouvement a perdue depuis 2001. Pour cela il faut se mettre d’accord sur les priorités, bien préciser les contradictions secondaires par rapport aux contradictions majeures entre les différentes composantes du mouvement et voir quel est le minimum de revendications sur lesquelles tout le monde est près à militer pour un résultat concret. N’importe quel observateur peut remarquer que quelles que soit les composantes du mouvement amazigh elles ont un minimum de valeurs en commun, quelquefois même beaucoup de revendications identiques, mais elles n’arrivent pas à se mettre d’accord pour militer ensemble. Enfin, il ne faut surtout pas se tromper d’ennemi, car, je crois, il n’existe pas à l’intérieur du mouvement amazigh. Et tout cela ne peut se faire que dans le cadre d’une stratégie claire ou chacun peut jouer son rôle.
Quelle est la situation sur le front de la revendication linguistique ? La volonté de voir l’amazighe reconnue dans la Constitution comme langue nationale et officielle est devenue un point commun de toutes les composantes du mouvement. Au-delà, il faut bien reconnaître qu’à part la participation aux marches du premier mai, il n’y a aucun événement qui rassemble toutes les tendances. A Rabat, par exemple lors du dernier défilé de la Fête du travail (2008), on peut constater une forme d’unité au sein des organisations. Il en est de même dans d’autres villes comme Agadir, Marrakech et Casablanca.
A part ce jour, chacun essaye de revendiquer à sa manière, par des communiqués, des déclarations, des rassemblements, des conférences et bien évidement la nouvelle méthode de la Coordination Ayt Ghighouch, composée des étudiants du Sud-est du Maroc, qui consiste, pour la première fois dans l’histoire du mouvement amazigh au Maroc, à investir la rue et les lieux public en dehors des manifs du 1er Mai.
Pour une action à long terme, il faut une structure politique capable de porter la revendication.
Avant de répondre, il faut préciser que la question du rapport entre le politique et le culturel a toujours accompagné le mouvement depuis son émergence. Au début, on a parlé de « mouvement culturel amazigh (MCA) ». En cela, les Marocains ont juste traduit mot à mot l’appellation kabyle de « Mouvement culturel berbère » (MCB). Le contexte de l’époque, pendant les années 1970-1980, a beaucoup compté. On ne pouvait pas affirmer ouvertement le caractère politique du mouvement et malgré cela, pour les autorités marocaines tous ce qui est amazigh est chargé du politique. C’est pour cela les premiers militants ont subi des arrestations et des poursuites, comme Ali Sadki Azayku, emprisonné pour un an en 1981, On peut citer aussi Hassan Id Balkassm arrêté pendant une semaine à cause d’une plaque affichée sur son cabinet portant son nom en alphabet amazigh tifinagh, l’interdiction des activités amazighes tout au long de la décennie 1980-1990, ou encore l’arrestation des militants de l’association Tilelli en 1994 et en même année l’arrestation des militants de Tamaynut-Inezgane à cause d’un calendrier où figure l’alphabet tifinagh et les figure des anciens rois amazighs.
Le changement a eu lieu en 1991, avec la signature de la Charte d’Agadir relative à la langue et à la culture amazighe. Le premier point de ce texte demande explicitement la constitutionnalisation de l’amazighe comme langue nationale. On est donc clairement sur le terrain politique car cela nécessite des réformes constitutionnelles.
Ensuite, ce débat entre politique et culturel a continué longtemps. Si un chercheur s’amuse à recenser les rencontres liées à cette thématique, il en trouverait des centaines. En 1997, au moment de la crise du Conseil national de coordination CNC, un colloque national est prévu pour réfléchir aux stratégies du mouvement amazigh. Parmi les propositions un texte de Hassan Id Balkassm qui propose aux congressistes la stratégie de militer avec « deux ailes », l’une culturelle et l’autre politique. Pour lui, des droits marginalisés par une décision politiques ne peuvent être acquis que par une lutte politique. Cette rencontre n’a pas eu lieu, pour de multiples raisons et le mouvement amazigh a raté cette occasion. La question est restée ouverte jusqu’au Manifeste amazigh de 2000. Rédigé par Mohammed Chafik, la principale caractéristique de ce texte est de lier les revendications linguistiques et culturelles amazighes avec les questions économiques, sociales et politiques. On y trouve une mise en garde : si l’Etat marocain ne répond pas favorablement aux revendications amazighes, alors ce mouvement pouvait changer d’orientation et se transformer en une force politique difficile à gérer. A la suite de ce manifeste, deux réunions ont eu lieu à Bouznika. La première, les 13 et 14 mai 2000 qui a crée un « Comité du manifeste amazigh ». La deuxième rencontre devait avoir lieu le 22 juin 2001, on attendait plus de 600 représentants venus de tout le royaume. Vu les débats qui l’ont précédée il était probable qu’une organisation politique y aurait vu le jour. Une autre fois cette réunion décisive n’a pas eu lieu. Elle a été interdite et juste après, il y a eu la décision royale de créer l’Ircam, l’Institut royal de la culture amazighe.
En parlant de tout cela, on constate que dès que les Amazighs discutent de politique, ils sont toujours empêchés de s’organiser. Vous connaissez la suite, l’avocat Ahmed Adghirni a crée le Parti amazigh démocrate marocain (PDAM). Un peu avant lui, Omar Louzi voulait lancer un Parti démocrate amazigh, puis Hassan Id Belkassm propose le Parti démocrate fédéral. Vous avez aussi tous les mouvements qui militent pour une autonomie du Rif et du Souss. Tout cela continue aujourd’hui. Finalement, le mouvement amazigh n’a pas d’organisation purement politique, à part le PDAM qui vient d’être dissout.
Par Rezki Source: http://www.rezki.net