En berbère (tamazight), « Azwu » signifie le vent. Comme les Berbères et, plus généralement, les peuples autochtones, Moha Mallal est sensible à la nature et à ses mystères. Du haut de la falaise de patte de singes qui veille sur son village, le fils de Tamlalte écoute les sifflements du vent, qui l’invite à chanter ses airs. On ne voit pas le vent mais la magie de la poésie permet d’élucider son énigme. Le poète, par sa voix douce et mélancolique, veut nous transmettre le
message du vent. St Jean pense que « le vent souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ». Certes. Cependant, il est des êtres, pour ne pas dire des poètes, qui entendent la voix du vent et ont le don de l’interpréter. Avec « Azwu », Mallal montre encore une fois qu’il est avant tout un poète. Avec son équipe et après une année de labeur, Mallal nous invite, à son tour, à écouter « Azwu »à travers un 7ème album, sorti à la fin de
janvier 2009. Les membres du groupe avaient annoncé un retour en force sur le devant de la scène musicale berbère. Chose promise, chose due. La sortie de ce nouvel album révolutionnaire confirme qu’ils sont en pleine forme et toujours aussi audacieux. Le titre de l’album ne doit pas être confondu avec « Azwu n idammen » ou le vent de sang qui est le titre de l’un des morceaux. Ce septième album (qui fait suite à six autres : Asif n Dads, Sellagh, Timlellay, Uyema atwareg , Azmul et Angi), représente une valeur ajoutée au riche palmarès de Moha Mallal, qui est, entre autre,poète, artiste peintre, chanteur, caricaturiste et scénariste.
Ce nouvel album est enrichi par la participation et la collaboration de divers artistes originaires du sud-est marocain. Nba et le groupe Saghru, Amnay, Omar Ait Said, Angmar ont répondu présents. La voix du petit Amnay, fils de Mallal, en surprendra plus d’un, sans oublier les voix féminines de TIFA, deux membres de la famille du chanteur. La présence de TIFA est historique dans la région et la musique du sud-est. Elle vient rétablir une vérité difficilement admise par les tenants du patriarcat et les partisans de la religion : contrairement à d’autres cultures, la culture berbère a toujours été favorable à la femme dont le rôle et le sort a été méprisé durant des siècles noirs assimilationnistes. En invitant TIFA à s’exprimer dans cet album, Mallal, en tant qu’homme, en tant que berbère et en tant qu’artiste, affiche son ouverture et revendique un retour aux sources évident. Que les femmes rurales lui en soient reconnaissantes !
« Azwu » est un véritable hommage à l’Art qu’abrite le sud-est du Maroc. Par cette œuvre, Moha Mallal tient à mettre en exergue les richesses artistiques dont la région regorge. Celle-ci fait souvent la une de l’actualité berbère du fait de la marginalisation socio-économique dont elle souffre. Mallal nous invite à s’enivrer de sa musique pour redonner à sa région sa vraie valeur. La révolte des berbères ruraux a tendance à être provoquée par la faim ; ils se révoltent donc pour le pain en négligeant la richesse de leur territoire. L’artiste nous propose un autre approche : goûter aux délices de l’art berbère qui nous entoure et que l’on refuse de voir pour revendiquer la reconnaissance. Car tout art mérite ne serait-ce qu’un brin de reconnaissance. Ainsi, Mallal est, malgré lui, un artiste pleinement engagé. Je me rappelle d’une discussion avec mon ami Moha, il y a quatre ans environ, autour de laquelle il me révélait son rêve. En effet, Moha a toujours souhaité que le sud-est libère l’Art. Nostalgique, il m’enseignait cette jolie métaphore : « L’art est comme le blé ou les roses. Il faut en semer les grains dans tous les jardins des vallées oubliées pour faire fleurir notre terre. ». On ne récolte que ce que l’on sème et on ne se révolte que parce qu’on aime notre terre…
La bande à Moha est un réseau de collaborateurs, d’artistes expérimentés, tissé au fil des années, lui permettant de faire face aux imprévus et aux obstacles que tout artiste berbère, digne de l’être, connaît et subit au quotidien. Le groupe Mallal peut ainsi réaliser un travail de rigueur et de qualité. En ce qui concerne les thèmes, l’artiste évoque, avec la plus profonde nostalgie, la vie du berbère. Il lutte contre l’oubli des ancêtres, de leurs riches apports et de leurs valeurs, qui aujourd’hui se perdent progressivement. Les ancêtres ont, en outre, su préserver les valeurs berbères en assumant réellement leur devoir de transmission. Effectivement, les Anciens ont toujours porté en eux le souci, « Anzwum », titre du recueil de poèmes de Mallal. Le souci de préserver un héritage et de le transmettre afin d’assurer sa pérennité. C’est pourquoi Moha a tenu à rendre hommage à ceux qui ont donné leur sang pour la cause berbère, les lions montagnards comme Assu Oubaslam, Zayd Ou Hmad, Hammu Iziyyi, Abdelkrim El Khattabi. Le chanteur se souvient de ceux qui ont sacrifié leur
vie, devenus conséquemment de nobles martyrs du combat des Berbères, tels les défunts Lounes Matoub ou Boujemaa El Hebbaz. Mais le temps présent trahit brutalement les lions, aussi puissants soient-ils. Jadis audacieux, sauvage, et indomptable, le lion est devenu isolé, méprisé, dominé dans toutes les formes. Autrefois plein de force, il régnait sur son territoire. Aujourd’hui, il est indésirable et fait face à bon nombre de prédateurs. Armé et volontaire, ce lion effrayait les grands guerriers durant les périodes coloniales européennes. De nos jours, hélas, vieilli et affaibli, il doit souffrir pour trouver quelques goûtes d’eau dans son territoire, élever sa descendance et lui préparer un avenir prometteur. Le Berbère d’aujourd’hui est à un stade où il n’est même pas capable de saluer son voisin dans sa propre langue, n’a pas les moyens de scolariser ses enfants, vit dans un coin perdu et oublié du Ciel, ne dispose d’aucune infrastructure, de médias, et se sent condamné à subir à jamais la misère chez lui.
Le nouvel album « Azwu » est composé des sept titres suivants : Nsul a tasuta, Sud a yazewu, Izem n l'âawari, Makm igan, Adday tesllat, Iwssaren. Le rythme et les paroles sont toujours liés a la culture Nord Africain, mais l'ensemble musical est ancré dans la modernité. Le travail n'est plus sur l'ambiance et l'émotion dans chaque souffle mais dans la recherche mélodique, l'orchestration électrique, classique accompagnée de nouveaux instruments, entre autre, touaregs, tamtams, jambis et la flûte .Mallal a toujours impressionné le public avec son style unique, particularisé par son rythme et ses paroles révolutionnaires et nostalgiques. En écoutant les paroles , Mallal montre qu’il est toujours attaché aux thèmes de la crise d’identité, de l’amour pour la patrie ,les détails de la vie de Dades ,les conflits intergénérationnels, l’ invitation à la résistance ,l’ optimisme. Parce qu’il n’y a pas de combat sans espoir. Mallal a voulu avec ces thèmes pousser et pénétrer de nouvel sang dans l énergie de la cause Berbère .Il a voulu dire aux peuple Berbere qu`il doit reprend le combat de résistance et ne jamais perdre l espoir malgré les déceptions,les obstacles ,les agressions, les détentions ,la
trahison …
Depuis sa création, Mallal et son groupe a inscrit au cœur de sa démarche la question des luttes contre les inégalités et les injustices, le mépris, la marginalisation, les discriminations et les représentations négatives ou falsifiées de la communauté berbère. Car s’il faut donner un sens à l’expression « peuple autochtone », ce serait de permettre aux populations berbères résidentes en Afrique du Nord de jouir de leurs droits, de devenir des citoyens ordinaires, dont la présence et l’Histoire est indiscutable, avec tous les droits et tous les devoirs qui s’y rattachent. Il faut préciser que le groupe Mallal a marqué l'année 2008 avec l`hommage rendu a ses excellents albums et son parcours artistique par l’IRCAM qui a réalisé que son attitude indifférente envers les artistes du sud-est était inacceptable. Il est à signaler que l’IRCAM est née en 2003 et que ce n’est qu’en 2008 que cette institution royale découvre étrangement la richesse de l’art Sud-est, en rendant également hommage à un groupe de danse de Kelaat Mgouna.
Etant donné l’évolution du monde et les changements qu’il connaît, notamment dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, les Berbères sont invités à investir dès maintenant dans toutes les formes artistiques qu’ils ont hérité. La richesse et la nature universaliste de l’Art permettent de penser que seul l’Art brise et traverse les frontières. C’est à travers la musique, le cinéma, et plus précisément l’image que la cause berbère s’internationalisera véritablement. L’image est à la portée de tout le monde, ainsi il faut mobiliser toutes les forces et âmes artistiques berbères pour inviter le monde à découvrir nos richesses mais aussi nos souffrances. Un artiste que l’on soutient est un écho universel de plus que l’on gagne. Un peuple qui ignore ou rejette ses artistes est un peuple en voie de disparition, un peuple sans voix et sans voie, et donc sans avenir. C’est en écoutant « Azwu » que l’on réalise que Mallal déteste le fatalisme et souhaite une rupture, un changement. Le temps de l’indifférence et de la fatalité n’est plus. Comme l’écrivait le poète français Alain Borne, « C'en est fini du vent léger qui laisse aux fleurs leur pollen le vent de sang qui vient des plaines plombe nos vies de son danger ». ‘Azwu‘ a des choses à dire. Faisons comme Moha : écoutons-le.