Début décembre 2009, la "Raïssa" du chant berbère nous accueillait à Paris dans sa loge du Musée du Quai Branly, quelques minutes avant d'entrer en scène. Une diva qui chante l'amour et le droit des femmes, et qui porte la culture amazigh jusqu'au bout des doigts.
"Oui, j'aborde des problèmes sociaux... avec un peu de philosophie", répond Fatima Tabaâmrant en riant. C'est ainsi que le "Raïssa" résume ses thèmes privilégiés.
Et le romantisme ? Les histoires d'amour si habituelles dans la chanson berbère ? "Un peu... J'ai remplacé les chansons d'amour par l'amour de la culture amazigh." Une culture qu'elle porte aussi sur elle, jusqu'au bout des doigts... Durant la séance photo, elle exhibera ses trois doigts, symbole amazigh akal, awal, afgan (terre, langue, homme). L'identité et la culture amazigh constituent en effet le sujet premier des chansons de cette native de l'Anti-Atlas au Maroc. Pendant que ses musiciens se préparent, la chanteuse, assise sur un sofa rouge, se détend avant le show. Le Musée du Quai Branly propose en ce mois de décembre 2009 Izlan, un spectacle consacré aux chants, à la poésie et aux danses berbères. La diva n'a pas encore revêtu sa coiffe, mais se laisse déjà prendre en photo avant de me redonner rendez-vous en fin de spectacle pour de nouveaux clichés. "J'essaie aussi de parler des droits des femmes et je m'intéresse à tout ce qui touche à l'éducation des enfants, à la question des orphelins... à la nature aussi", continue la chanteuse de sa voix grave.
Femmes des villes, femmes des champs
L'histoire de Fatima Tabaâmrant ressemble à celle de beaucoup de femmes berbères : le travail entre champs et foyer, un mariage précoce ou forcé et une fascination très tôt pour le chant. Elle n'est jamais allée à l'école et a vécu en orpheline. Les conditions de la femme seraient-elles différentes en milieu berbère ou arabe ? La chanteuse préfère insister sur le clivage ville-campagne : "Dans les campagnes, les mentalités sont plus fermées. Là-bas, on ne laisse même pas les femmes sortir. Les filles en ville sont scolarisées, dans les campagnes, elles sont retenues à la maison, souvent trop éloignées des collèges." Alors, le nouveau code de la famille, la chanteuse l'a vu arriver avec bienveillance en 2004. Mais la bataille est loin d'être terminée : "Il faut encore une sensibilisation chez les femmes, l'application des textes et leur communication." Dans ce travail auprès de femmes souvent analphabètes en milieu rural, elle reconnaît volontiers avoir un rôle à jouer : "Des associations d'alphabétisation se servent de mes chansons pour sortir les femmes de leur maison." Un peu comme Najat Ataâbou, qui chante avec beaucoup de drôlerie les vertus de la nouvelle Moudawana.
"J'ai remplacé les chansons d'amour par l'amour de la culture amazigh"
Mais Fatima Tabaâmrant côtoie peu ses consœurs marocaines, berbères ou non, tout au plus "lors de festivals". Si elle a un grand respect pour les anciennes qui l'ont inspirée, Fatima Tihihit Moujahid, ou Rkia Talbensirt, elle est plus critique sur les dérives commerciales des plus jeunes, souvent elles-mêmes victimes de "trafics de maison d'édition qui prennent des chanteuses, mettent une chanson et la photo d'une autre...". Des pratiques courantes.
Les pieds dans le PAM (Paysage Audiovisuel Marocain)
Fatima Tabaâmrant se montre aussi sceptique sur la place nouvelle accordée à la culture amazigh dans le PAM : "On ne peut même pas dire qu'elle apparaît une fois par une semaine dans les médias. Les journaux, ça reste quand même mieux que la télé ! Il y a effectivement eu quelques progrès avec l'IRCAM, l'enseignement de la langue... mais la population amazigh attend toujours sa chaîne berbère..." Mille fois annoncée par la Haute autorité de communication audiovisuelle et les ministres de la Culture successifs, la chaîne publique marocaine avait plus de l'Arlésienne que de l'Amazigh ! Elle a finalement vu le jour au début du mois de Janvier 2010. Fatima Tabaâmrant est connue et reconnue, de Paris à Bruxelles, d'Alger à Amsterdam. Auprès de la diaspora d'abord "Les Marocains, je les trouve partout" dit-elle, mais aussi des Algériens, dont elle respecte d'ailleurs quelques grands noms comme Matoub Lounès ou Lounis Aït Menguellet. Grâce aux traductions de ses chansons et à son talent, ce soir et durant tout son passage à Paris, elle aura encore élargi son public.
Une vie Berbère