Le 8 novembre 2009 dernier, Lahoucine Bouyaakoubi était l'invité du Club Adlis association de rencontres littéraires berbères pour présenter son dernier livre « Mohammed ChafiK, l’homme de l’unanimité, parcours d’une figure emblématique du mouvement amazigh » publié aux éditions Idgel par Tamaynut-Anfa. Nous reproduisons ci-dessous le compte-rendu de la rencontre publié sur le site de l'association.
M. Chafik est une figure emblématique du Maroc, et même d’Afrique du Nord. Cet homme de lettre a réussi l’exploit de réunir (pour un temps) le mouvement berbère autour du Palais. Il fut à la fois un élément intérieur et extérieur au système (tant au niveau du gouvernement que du mouvement berbère). Il servit d’intermédiaire, jusqu’à sa nomination à la tête de l’IRCAM2 entre le palais et les associations berbères. On peut noter trois dimensions de la personnalité de M. Chafik :
Depuis les années trente (durant la période de protectorat français3 au Maroc), un processus de construction de l’état-nation au Maroc et du concept de nation marocaine voit le jour. Ce processus donnera lieu à un état « arabe et musulman »4.
Manipulation du dahir berbère :
M. Chafik, ancien élève du collège d’Azrou5, dénonça (longtemps après sa promulgation car il était tout jeune à l’époque6) l’appellation « dahir berbère » et la stigmatisation des Berbères sur cette question. Ce dahir ne fit que rendre légale des us et coutumes en vigueur à l’époque dans la résolution de conflits et d’infractions. Il est d’ailleurs passé inaperçue cette année-là devant d’autre événements plus important. Et depuis, ce dahir fut exploité politiquement pour dévaloriser l’identité berbère.
Manifeste berbère :
Après de longues années de la recherche académique dans le domaine berbère, la dimension politique de Chafik culmine avec le Manifeste amazigh de mars 2000. M. Chafik écrivit (conjointement avec d’autres militants) au gouvernement marocain un manifeste7pour la reconnaissance de l’amazighité8 du Maroc. Il fut, enfin, arrivé au Palais royal. Depuis l’échec de la conférence nationale sur les stratégies du Mouvement amazighe (1996/97), le mouvement berbère s’était atténué (suite à des problèmes internes au mouvement). Dans ce contexte, le Manifeste a redynamisé le mouvement, qui prenait des allures radicales (par certaines branches).
Relation du mouvement berbère et du Makhzen des années 1980 à la création de l’IRCAM en 2001 :
Le mouvement berbère au Maroc n’a jamais vraiment eu de stratégie conflictuelle contre le Makhzen. Ce qui explique la jonction que faisait M. Chafik et l’importance ainsi que la facilité de son rôle d’intermédiaire. Il s’agissait, en effet, de “conduire’’ le mouvement berbère (pourtant de protestation) sans remettre en question le système monarchique ou la monarchie elle-même.
Par contre l’amazighité (et non véritablement le mouvement berbère) fit et fait encore peur au gouvernement du fait d’une charge historique et idéologique qu’elle représente.
À la mort du roi Hassan II, on note une rupture de la gestion de la « question amazigh ». Son fils Mohamed VI qui le succède change de politique vis-à-vis du mouvement berbère. Afin de se donner une légitimité démocratique (la dynastie a jusqu’alors une légitimité historique et religieuse), le roi crée l’IRCAM en 2001. L’IRCAM est en effet naît d’une décision royale. À ce titre, son budget n’est ni voté ni discuté puisqu’il s’agit d’un budget royal. L’IRCAM a un statut consultatif auprès du roi chargé à côté de la recherche académique de proposer au roi des mesures nécessaires pour intégrer l’amazighe dans différents domaines. « L’homme de l’unanimité » prit d’ailleurs part dans tout le processus de la création de cet Institut amazigh. Il en fut le premier recteur pendant près de 23 mois (de janvier 2002 à novembre 2003) avant qu’il le quitte pour des raisons de santé. Tout au long de son parcours, traversant la période du protectorat, la période de Hassan II et le début du règne de Mohamed VI, M. Chafik a réussi à rapprocher le mouvement berbère de la monarchie marocaine. La mise en place de l’IRCAM constitue la concrétisation d’une des revendications du mouvement berbère depuis les années 1980. Reste à s’interroger sur l’avenir de la question amazighe au Maroc après le départ de Mohamed Chafik.
2Institut Royal de la Culture Amazigh au Maroc.
3 Le Protectorat français sur le Maroc dura de 1912 à l’indépendance du Maroc en 1956.
4 La Constitution marocaine défini t le Maroc comme Etat musulman dont la langue officielle est l’arabe.
5 Le Collège d’Azrou est créé par le Protectorat en 1927 dans le cadre de sa politique en matière de l’enseignement. Il fut destiné aux fils des notables ruraux à l’exemple des écoles urbaines destinés aux fils des notables citadins. Pour plus d’informations sur ce collège voir l’ouvrage de Mohamed Ben Hlal, le Collège berbère d’Azrou.
6 Le « dahir berbère » fut promulgué le 16 mai 1930. Le jeune Mohamed Chafik n’avait alors que trois ans.
7 Il s’agit d’un document écrit qui exprime les différents a mettre en place pour intégrer réellement l’amazighité comme composante nationale (ce qu’elle est) officiellement.
8 Ou berberité.
Par Club Adlis | Blog de l'association http://adlis.canalblog.com