Fatima Moutaoukil vient d’enrichir la bibliothèque amazighe par la publication de son premier recueil de poésies en langue amazigh « Tagziwin n Itran » (Les secrets des étoiles). Nous vous proposons de lire l’interview que l’auteur du livre a bien voulu nous accorder.
Je m'appelle Fatima Moutaoukil, je suis née dans la région de Chtouka Ait Baha que j'ai quitté à l'adolescence pour rejoindre ma famille en France. Je suis professeur des écoles en région parisienne.
L'envie d'écrire en amazigh est venue après tout un cheminement vers une recherche de soi et une quête identitaire. Elle a enfin abouti le jour où j'ai pris conscience, après avoir écrit pendant des années en arabe littéraire et en français, que mon besoin viscéral d'écrire pouvait aussi parfaitement bien s'épanouir dans ma langue maternelle. Celle-ci ne fera que l'exalter davantage du fait de ma proximité affective et fusionnelle avec elle.
Ayant quitté assez jeune mon pays d'origine et mes racines, écrire en amazigh aujourd'hui me procure enfin un sentiment de plénitude atteint après une sorte de « réactivation » émotionnelle et identitaire de tout un héritage culturel enfoui dans mon cœur de tamazight immigrée. C'est un formidable et vital ressourcement. Ecrire dans sa langue maternelle, c'est l'inscrire dans la pérennité.
Mon rapport à l'écriture a toujours été passionnel, aussi bien dans le bien-être que dans la douleur ou elle me pouvait me plonger. Elle a été très tôt mon refuge, mon échappatoire et ma façon d'exister. J'ai commencé à écrire à l'âge de 14 ans, des essais d'écriture de poèmes et de Nouvelles. L'écriture m'a toujours fascinée et j'écris à l'instinct. Ce rapport a mué au fil des ans en un acte d'engagement, d'une part pour la cause de ma langue maternelle, et d'autre part, pour la cause de la femme en général, et celle de la femme amazigh en particulier. L'écriture continue dans tous les cas à m'être primordiale, voire salvatrice.
Au début, j'ai été effectivement entravée dans ma volonté d'écrire en amazigh par des difficultés qui relèvent plus du domaine lexical. On peut certes être rapidement dérouté par cette flopée de barrières essentiellement linguistiques, qui rendent la tâche d'écrire en amazigh peu facile mais pas insurmontable! Je crois qu'il faut d'abord commencer par lire les écrits amazighs, lire énormément, se ressourcer linguistiquement, (re)travailler sa langue en lisant les œuvres de nos écrivains amazighs. S'il y a des difficultés à écrire dans une langue à dominante orale comme la langue amazigh, elles ne doivent pas être un frein, si on a la volonté farouche d'y parvenir et si on est profondément conscient que l'avenir de cette langue en dépend.
Incontestablement, oui. J'ai été très influencée par les chansons amazighs en général, et en particulier par celles que j'ai découvert grâce à mon père, à savoir, les œuvres de nos grands chanteurs Hadj Belaïd, M'Barek Ayssar, et Fatima Tabaamrant. Par la suite, j'ai été aussi très influencée par Izenzaren. Même si mes poèmes s'inscrivent plus dans un style de poésie moderne, ils n'en demeurent pas moins très inspirés par tout cet héritage.
La poésie moderne est celle qui rompt avec la tradition, qui s'affranchit des règles de la forme poétique traditionnelle, en matière de rimes, rythmique et formes fixes. Une poésie faite de vers libres, mais pas uniquement. Cependant, sans renier l'importance de la poésie traditionnelle que j'apprécie beaucoup comme étant l'un des piliers de la culture amazigh, cette mouvance dans la création poétique tend à inscrire la poésie amazigh dans l'universalité. Une aspiration à la liberté d'en faire une poésie qui se ressource dans la tradition mais qui vise une ouverture sur le monde.
J'ai été très fascinée et je le suis encore par de nombreux grands poètes amazigh, la liste est longue et pour n'en citer qu'un seul je dirai Ali Azayku, cette grande figure littéraire amazigh qui m'a énormément apporté à travers ses œuvres.
C'est une interrogation qui est assez récente. Elle l'est davantage concernant l'écriture amazigh, puisqu'il y a tout juste une émergence de l'écriture au féminin. Personnellement, je pense que si cette écriture n'est pas uniquement instrumentalisée dans la lutte pour la cause féminine, il existe alors effectivement un style d'écriture spécifique à la femme, mais la thématique et les sujets abordés ne diffèrent guère de ceux abordés par l'homme. Ils concernent les mêmes préoccupations que celles trouvées dans l'écriture au masculin. L'écriture de la femme amazigh rejoint celle de l'homme quand elle aborde des thématiques comme celles de la nature, les difficultés de l'être, les préoccupations quotidiennes, les prises de positions intellectuelles et politiques.
Je suis très optimiste quant à l'avenir prometteur de la littérature amazigh, en quantité mais aussi en qualité. La production écrite est et restera un vecteur important en dépit des barrières culturelles et des raisons économiques qu'il nous faudra dépasser. Nous avons un potentiel culturel et linguistique très riche qu'on doit exploiter. Cette exploitation n'a pas forcément besoin d'un cadre institutionnel pour être accomplie. Les créations littéraires et artistiques doivent évoluer dans la liberté d'action et vers l'universalité.
Il est incontestable que le rôle de la femme y sera important. Son entrée dans la production écrite, bien que très récente, est en corrélation avec l'évolution de son statut de femme. Sa contribution dans la production écrite, même émergente, est déjà très prometteuse.
Oui, j'y pense, même si ça reste des esquisses de projets pour le moment.
Il s'adresse à nos femmes amazighs: Soyez fières de vous, ayez confiance en vous, en vos potentiels et talents créatifs, artistiques et littéraires. Vous êtes les actrices de l'avenir de la langue amazigh.