Mohamed Mallal, allias Moha, est l’ainé d’une fratrie artistique composée de Fatima qui pratique la peinture, Driss qui joue de la guitare et qui est membre du groupe Mallal et de Saïda qui fait du chant et qui a lancé avec sa cousine Aïcha un groupe de musique sous le nom de Tifa. Tous sont originaires du beau village Tamlalte, dans la vallée de Dadès au Sud-Est du Maroc. Ici, la pierre et les monts nus et austères côtoient dans une parfaite symbiose une vallée verdoyante et riche qu’Asif n Dadès (le fleuve de Dadès) arrose de son eau pure.
Mohamed Mallal est un ancien diplômé de l’université d’Agadir où il avait suivi une formation en Histoire des civilisations. Sorti avec la promotion de 1987 il commence d’abord par la pratique de la peinture, ce qui lui permettra dès 1990 de devenir un professeur des arts plastiques à Ouarzazate. Dans ce domaine, il est très impliqué localement puisque dès l’année 2007 il préside l'association Tazra-art qui a pour objectif d'animer des ateliers de peintures au sein des établissements scolaires, des associations mais aussi dans les villages de toute la vallée de Dadès. Il fallait ouvrir les horizons des enfants à la chose artistique, voilà la noble ambition des membres de cette association.
Tout en pratiquant la peinture -mais aussi la caricature qu'il affectionne beaucoup-, Mohamed Mallal enchaine une carrière musicale à partir du milieu des années 1990. En 1997 précisément sort son premier album, Asif n Dadès, un vibrant hommage à la source de vie dans la vallée de Dadès, son fleuve. Et depuis cet album ce sont sept autres qui viendront enrichir le répertoire du groupe Mallal dont Mohamed est, pour précision, le fondateur et le chanteur aussi. Le dernier album de ce groupe, intitulé Amersal ou la terre salée, est sorti il y a quelques jours seulement. Il est entièrement dédié à la mémoire de M'barek Oularbi, alias NBA, chanteur du groupe Saghru Band, décédé le 9 janvier dernier à l'âge de 29 ans.
Soucieux de son autonomie artistique et évitant plus que tout l’art sur commande Mohamed Mallal a monté il y près de deux ans environs son propre studio d’enregistrement à Ouarzazate. Il y enregistre ses propres chansons mais aussi celles de bon nombre d’artistes du Sud-Est Marocain. Mohamed Mallal espère à travers cette initiative alléger le parcours administratif tout comme les frais des jeunes chanteurs Amazighs qui veulent s’engager dans la musique. Dans le cadre de cette initiative, le meneur du groupe Mallal travaille en collaboration avec la société de production Itri music, sise à Casablanca.
Artiste multiple (http://mallal.net/), Mohamed Mallal a publié aussi en 2006 un recueil de poèmes intitulé Anzwum (le souci) aux éditions Publisud. La traduction de ces poèmes en français a été assurée par Omar Akesbi. Et pour donner une dernière touche esthétique à son œuvre poétique, Mohamed Mallal a choisi d'habiller la couverture de son livre d'une belle peinture de Fatima, sa sœur cadette dont l'art est apprécié jusqu'en Europe et en Amérique du Nord où elle a déjà exposé.
Dans l’entretien qui suit Mohamed Mallal parle de son dernier album, Amersal, de sa conception de l’art, du groupe Saghru Band et son ex-chanteur NBA mais aussi d’actualité, de ce que pourrait signifier un véritable changement dans un pays comme le Maroc ainsi que dans toute l’Afrique du Nord. Les propos de Mohamed Mallal sont plein de vérité et de sincérité.
Hakim Amara
Mohamed Mallal : Pour parvenir à ce titre j’ai dû faire l’inventaire de tout ce que j’ai en tête. J’ai voulu un titre simple, mais en même temps un titre qui ait un sens lourd et profond, un peu à l’image de mes poèmes. Amersal c’est le portrait d’un pays où ses authentiques habitants sont marginalisés, malmenés et agressés. Sur leur terre devenue salée les plantes ne poussent plus et l’eau y stagnante. Ils songent alors à migrer laissant derrière eux des maisons en ruines et des chemins que recouvrent des herbes sauvages... Amersal, c’est finalement le pays où notre espoir subit son ultime diagenèse. Plus qu’un titre, Amersal est l’expression de ma profonde déception. C’est un titre sincère.
M.M: Quand j’ai appris le décès de NBA j’ai eu le sentiment de perdre ma main droite. La douleur me secoue encore. C’est un frère, un ami et un artiste de grand talent. Le groupe Saghru Band était l’espoir de la chanson Amazighe dans le Sud-Est du Maroc. Mon espoir en ce groupe était très grand, je voyais en lui le seul qui pouvait vraiment faire parvenir notre flambeau à son terme. M’barek Oularbi est irremplaçable, c’est pourquoi j’ai tenu à dédier l’ensemble de notre album à sa mémoire.
M.M: Amun Style était un projet que j’avais entamé, en effet, avec NBA. Cela avait commencé par un constat commun qu’on avait fait, à savoir que nous artistes Amazighs on est marginalisés par les médias et les grands festivals alors on s’était demandé ce qu’on pouvait faire de concret pour changer notre sort. Avec NBA on a cherché des réponses, des propositions et à chaque fois qu’il passait dans mon studio on parlait de ça. Amun est un mot que j'ai découvert à la faculté lorsque j'étais étudiant en 1986, section Histoire des civilisations. Amun c’est le Dieu des dieux dont quelques monuments sont érigés à Siwa, à l’ouest de l’Egypte et où d’autres Imazighen comme nous vivent encore. D’après mes recherches Amun vient du mot Amazigh Tamunt qui veut dire l'union. Avec NBA on a discuté alors de cette union à travers la création d'un nouveau nom ou label qui distingue le style des jeunes artistes du Sud-Est. Et c'est mon neveu Abdella
tif Mellal, designer, qui nous a confectionné à partir de nos conversations informelles -et à notre grande surprise !- des affiches portant le beau label « AMUN STYLE ». La mort de NBA nous a vraiment peinées, perturbées et retardées, car avec le leader de Saghru Band on avait aussi prévu de créer une chorale pour enfants, d'enregistrer un CD en duo et de réaliser des clips vidéos... Pour ce qui est du label « AMUN STYLE » on va le faire vivre avec le groupe Saghru Band, dirigé désormais par le frère de NBA, Khaled.
M.M: Oui je vois l’influence et NBA l’as toujours dit. Je me suis produit dans son village, Mellaab, alors qu’il n’était qu’un enfant. Il a beaucoup apprécié mon style comme la plus part des habitants de son village même si j’avoue que mon style leur paraissait au départ étranger, je veux dire étranger à ce qu’ils avaient l’habitude d’écouter.
J’ai contribué, dans le cadre de ma recherche musicale, à diversifier le goût des jeunes en matière de musique. Jusqu’à cette expérience tout le monde pensait que le style traditionnel du Moyen Atlas est l’unique vivier dans lequel nous continuerons de puiser nos répertoires de demain. Mais voilà, je crois que j’ai réussi à libérer l’oreille des milliers de jeunes d’une musique qui est restée longtemps figée et qu’il fallait de toute façon moderniser. Je voulais créer un style du Haut, Moyen et Anti-Atlas en prenant compte nos particularités locales, notre richesse poétique et musicale mais en adoptant aussi des airs et des rythmes de toute Tamazgha et du monde entier.
Avant d’influencer NBA j’étais moi-même influencé par la musique d’Idir, la poésie d’Aït Menguellet et les airs de Markunda de l’Aurès (Algérie). Le travail artistique que je propose aujourd’hui dans le cadre du groupe Mallal est très bien reçu par le public du Sud-Est du Maroc. L’expérience a été d'ailleurs si fructueuse que de nouveaux et jeunes groupes poursuivent cette voie.
M.M: Avant, dès que les gens entendent les sons de la guitare, ils croient que c’est du Kabyle, du Rifain ou même de l’Occidental. Le luthar au Moyen Atlas et le ribab dans le Souss sont les instruments traditionnels les plus proches de leurs publics traditionnels. Ce n’est pas simple de changer toute une tradition d’écoute musicale, comme il n’est pas facile de changer un goût ou une croyance quelconque. Le nouveau est toujours rejeté au début ; cela est valable dans la musique, la littérature, la philosophie et tout autre domaine de la création humaine.
J’ai toujours, pour ma part, refusé -et je refuserai toujours- d’être un chanteur folklorique qui fait danser nos filles. Je m’explique : certains chanteurs utilisent comme dans une publicité les femmes Amazighes qu’ils font danser d’une façon plutôt débauchée, que ce soit au Moyen-Atlas, dans le Souss ou même en Kabylie. Nos femmes comme toutes les femmes du monde dansent mais notre danse reste non seulement belle mais surtout digne et pudique. Les dirigeants des chaines de télévision, en particulier, encouragent cette tendance de dévergondage et ceci franchement nous fait mal. Pour le reste, présenter notre art ou même notre danse artistique devant des bougres qui manquent de minimum culturel et qui ne se privent pas de se moquer de nous et de nos traditions ancestrales cela nous fait davantage mal.
En ce qui me concerne, du moins, j’ai toujours refusé le moindre effort dans la musique et la légèreté dans les textes. On le voit bien aujourd’hui, il suffit de quelques mots d’amour ou de vers fantasmagoriques d’une laideur insoutenable pour qu’on devient chanteur ! Nos concitoyens des montagnes et des coins reculés, ceux qui sont marginalisés et qui continuent de mourir de froid et de faim exigent non pas du folklore mais un art qui puisse rendre compte de leur condition, un art en somme fondé sur la vérité.
M.M: Les chanteurs du Sud-Est Marocain sont les plus marginalisés du monde. Je ne vois dans nul autre pays pareil discrimination ! Avec plus 14 radios et 8 chaînes de télévision, jamais un chanteur du Sud-Est n’a eu l’occasion de jouir d’un temps digne pour parler de son art ou même de dire ce qu’il pense des autres artistes. Les chansons de toutes les langues du monde sont diffusées chaque jour sur « nos » radios sauf la chanson Amazighe, celle des autochtones de cette terre sacrée. Au fond on connait la raison : tant que notre musique reste engagée, c’est-à-dire qu’elle parle de l’homme et de ses problèmes, de liberté et d’émancipation, des droits et de légalité elle sera systématiquement refusée par les médias de l’État et ce qui tient lieu de producteurs, distributeurs et organisateurs de grands « festivals ». Les artistes du Sud-Est, à titre indicatif, pensent à la qualité du travail et à leur culture plus qu’au coté commercial proprement dit. Sache, par exemple, qu’ils cèdent gratuitement jusqu’à 80% de leurs CD parmi leur public !
Te parler de production et distribution après tout cela c’est franchement évoquer un univers étrange. On est, ici dans le Sud-Est, les producteurs, les distributeurs et… les pirates de nous-mêmes. On travaille pour notre cause et pour l’Histoire avec des moyens plus que modestes. Dans un moment de grande déception, il nous arrive de nous dire que si notre art n’est pas conforme aux attentes de l'État il est, au moins, conforme au cours de l’Histoire et à la vérité. Notre parti est celui des pauvres et de tous ceux qui combattent pour un idéal, pour la justice et les droits de quelque nature qu’elle soit.
M.M: Tel que je le vois, le changement dont ils parlent est seulement dans la forme. Ceux qui ne connaissent pas les réalités du Haut, Moyen et Anti-Atlas et leurs pauvres habitants Amazighs qui meurent chaque hiver de froid se bercent de l’illusion du changement. Les bourgeois qui nous « gouvernent » n’ont aucun intérêt au changement. Peindre les façades, mentir au peuple, dilapider son argent, négliger ses cultures et la richesse du pays n’a jamais été un signe positif de changement. On nous parle souvent de grands projets, mais de quels projets s’agit-t-il ? Hein ? Ceux qui les évoquent manquent jusqu’au minimum requis de pudeur. Les projets dont ils parlent ressemblent à cette Ferrari qu’on expose devant un pauvre paysan de haute montagne ; son souci est ailleurs.
Pour ce qui est de la Constitution y ajouter le mot Tamazight comme étant un élément de l’identité marocaine ne suffit pas. Nous voulons que notre langue y soit inscrite en tant que langue officielle, au même titre que l’Arabe. Je me demande pourquoi les Fassis qui gouvernent -par presque héritage- aux destinées de notre pays ne veulent pas admettre le fait Amazigh au Maroc ni même pourquoi ils continuent de se servir du parti l’Istiqlal pour falsifier l’Histoire et la réécrire à leur guise ?! D’ailleurs il faut souligner, ici, que ceux-là et leur parti localisent l’âme de notre pays en Orient –qui les rejette pourtant- et non au Maroc ! En ce qui nous concerne, on veut un pays où règnent le respect, la démocratie et l’égalité entre tous les citoyens.
M.M: L’Afrique du Nord occupe une place géopolitique très privilégiée, entre un Nord riche et un Sud pauvre. Cette place doit bénéficier d’une plus grande attention. Mais comme ces enfants qui restent très attachés à leurs biberons les gouvernements de nos différents pays restent eux aussi très attachés à leurs petits territoires et à leurs petits privilèges, évitant ainsi de voir plus large et davantage vers l’avenir. J’imagine mal une Afrique du Nord unie avec les gouvernements actuels... Mais mon espoir et celui, sans doute, de tous les peuples de notre région est que cet idéal soit atteint et pour cela il faudra d’autres politiques.
M.M: Ici, -au Maroc- lorsqu’on est sérieux, on est négligé ou attaqué. La seule porte ouverte pour les artistes est de danser sur les rythmes composés par le gouvernement. Si tu prends une autre voie, tu risques d’être seul et de mourir dans l’obscurité. C’est curieux de voir comment l’art médiocre marche chez nous ! La qualité n’est pas un critère d’encouragement, au contraire ! « Fais-moi une mauvaise chanson, un mauvais tableau ou une mauvaise pièce de théâtre et tu verras comment tu figureras parmi les grands ! Les télés et les radios te chercheront à n’importe quel prix ! » La politique est comme l’air. Il est présent partout, même dans l’eau qu’on boit.
Pour revenir à ta question sur les projets en commun entre artistes nord-africains, sache que mon rêve est de travailler ou de faire au moins des duos avec des artistes Amazighs d'Algérie, de Libye ou du grand Sahara comme les Touareg par exemple. De toutes les créations musicales Amazighes de notre région nord-africaine le répertoire Kabyle a conforté en moi le sens musical très jeune. Je chante d’ailleurs souvent des chansons Kabyles que j’ai appris par cœur. J’ai aussi chanté un poème de Belkacem, le poète Libyen assassiné par El Gueddafi. Ceci dit, je constate que la chanson Amazighe du Maroc n'est pas très connue ni en Algérie ni en Libye que je viens de citer. Je ne pense pas que ça soit, ici, une question de médias puisque nos chansons existent sur internet. Mieux, tous les chanteurs du Sud-Est du Maroc chantent sans problème des chants Kabyles ou d’autres variantes Amazighes. Beaucoup de questions se posent sur ce point...