La chanteuse Zahra N’Soumer est originaire de L’Djemaa N’Saridj, en Kabylie (Algérie). Elle est née au courant de l’année 1955 à Tizi n’At Aïcha (Ex-Ménerville). Elevée par sa grand-mère maternelle jusqu'à l'âge de 15 ans elle rejoindra, par la suite, sa mère à Alger. C'est, ici, que son destin la conduira sur les sentiers de la musique.
En 1973 elle rencontrera Cheikh Nourdine, compagnon artistique de Slimane Azem, et ce dernier la présenta au Maître Chérif Kheddam. Ce dernier lui composa deux chansons « Ula d-nekk tilemzit » (Moi aussi je suis jeune) et « D-lḥeqq-iw » (C’est mon droit). Chérif Kheddam ne lui composa pas seulement ces chansons mais lui donna aussi un nom artistique : Zahra. La deuxième partie de ce nom, N’Soumer, viendra par la suite. « L'idée de N'Soumer, dira la chanteuse, m'a été soufflée par le guitariste Farid Kezzim (décédé si jeune, récemment). Lors d'une rencontre avec Hocine l'Asnami et Farid Kezzim, ce dernier en me regardant lâcha tout simplement "Yaaa ! Zahra N'Soumer !" J'ai sauté dessus, en demandant les avis de collègues, cinéastes, chanteurs et journalistes. Tout le monde me disait que je le portais bien! Point pour moi de m'identifier à cette grande Dame qu'est Faḍma N'Soumer, mais la similitude est dans le combat! L'une a combattue pour la liberté de sa patrie, et l'autre combat pour sa culture et son identité.»
L'orchestre dans lequel faisait partie Zahra avait un son nouveau, du fait des guitares sèches, et le hautbois de Guechoud Khélil. C’est avec ce dernier qu’elle formera, d’ailleurs, le groupe de musique, « Le Quatuor Numide. » Ben Mohamed et Méziane Rachid lui écrivaient les textes, tandis que Si Ahmed Abderrahmane lui composait les musiques. Tout en faisant partie de l’orchestre de Cherif Kheddam, Zahra rencontrera celui qui va la mettre aux devants de la scène artistique : Idir. « A ce moment-là, se rappelle-t-elle, Hamid Cheriet –Idir- rendait souvent visite à Kheddam, et me proposa gracieusement de chanter « A vava inouva »...qui connut le succès que l'on sait. » Rappelons-nous, dans cette chanson qui est à la base un conte kabyle ancien, un père « Vava inouva » dialogue avec sa fille « Ghriva » et c’est Zahra justement qui incarne Ghriva dans cette chanson mythique.
Le Quatuor Numide était composé de Khélil Guechoud, Si Ahmed Abderrahmane à la guitare (étudiant en médecine), Kamel Messaoudi à la guitare (un étudiant) et Idjer à l'accordéon. Ce groupe fera trois récitals à l'Opéra d'Alger. Des « soirées mémorables » de ce groupe Zahra N’Soumer se remémore quelques détails : « Un ami étudiant travaillait comme veilleur de nuit au Musée du Bardo. Il avait pris le risque de me prêter tous les bijoux amazighs....somptueux !!! Saïd Saadi, étudiant encore à cette époque, ratait toujours la première partie, car il était chargé de surveiller les bijoux dans ma loge. Je ne les portais qu'à la deuxième partie. »
Le groupe « Le Quatuor Numide » fera du chemin avant de fusionner avec le groupe « Imazighen Imoula », fondé par Ferhat Mehenni. Cette fusion donna naissance à deux 45 tours, à Paris. Suivez bien l’histoire de ces deux 45 tours : En 1974, le Ministère de la jeunesse et des sports algérien convia le groupe Imazighen Imoula à une tournée en France. A ce moment-là Guechoud Khélil était mineur et n'avait pas encore fait son service national, il ne pouvait donc y participer. « Alors, raconte Zahra, j'ai proposé à Ferhat Mehenni de le remplacer. Il a accepté. Nous faisions, alors, un vrai travail d'équipe! Il n'était pas question de vedettariat ! Il me faisait le chœur lors de mes chansons, et je faisais pareil! Il avait composé une chanson que nous chantions en duo « D udm-is kan walit-ets » (C’est juste son visage, regardez-le). »
Mais c’est à Paris que le groupe sera pris dans un piège pour le moins « in-artistique » . « Arrivés à Paris, Kamel Hammadi nous présente "Soulimane", un producteur. Ferhat et moi avons enregistré chacun son 45 tours, accompagnés par le groupe et Rabah Khalfa à la Tumba. J'ai enregistré « Ulama nekk tsilemzit » (Même si je suis jeune) de Chérif Kheddam et « Ziɣ d-netta » (Finalement c’est lui) de Ben Mohamed, et musique de Si Ahmed. Ferhat, lui, a enregistré « Iḍ d w-as » (la nuit et le jour) plus un autre titre dont je ne retiens pas le nom. Au moment où nous allions quitter le studio, Soulimane nous interpella en nous disant que nous devions lui enregistrer « A vava inouva » et « Chenoud" »...Nous avions refusé en conséquence de quoi il a refusé, lui aussi, de nous payer ! Nous étions restés à Paris à nos frais, car comme la tournée était terminée, tout le reste de la troupe était rentré à Alger ! Alors, étant jeunes et sans expérience, nous avions accepté les conditions de Soulimane.... »
Après cet épisode de « Soulimane » Zahra N’Soumer s’absentera pendant près de 5 ans. Elle ne reviendra sur la scène artistique qu’en 1980 où elle enregistra une cassette chez les Editions Atlas, avec Méziane Rachid et composition musicale de Mahboubati. Au cours toujours des années 1980 deux autres cassettes verront le jour avec des compositeurs tels qu’El-Ghazi, Boualem Chaker, Takfarinas, Amar Azzouz et Azeddine Tebibel. La première cassette intitulée,"Ak cekraɣ ay aḥbib » (Je te remercie l’ami) a été enregistrée en 1985, chez les Editions Menouar et la seconde « Urǧiɣ », en 1990, aux Editions Iboudrarène avec des arrangements des frères Kezzim. « Urǧiɣ » ? S’agit-il de la chanson de Lounis Ait Menguellet « Urǧiɣ win turǧa taryel » (J'ai attendu celui qu'a attendu l'ogresse) ? Et est-ce Zahra qui faiasit la contre-voix dans cette belle chanson ? « J'ai fait une reprise d'une des chansons d’Ait Menguellet, que j'aimais beaucoup « Urǧiɣ », mais c'est plutôt ma petite sœur Dehbia (décédée il y a trois ans) qui a chanté avec lui le fameux duo « Anda teǧǧiḍ emmi ?" (Où as-tu laissé mon fils ?) »
Au début des années 1990 la situation socio-économique et sécuritaire commença à se dégrader en Algérie. Dès 1992 l’état de siège avait été instauré et le terrorisme allait suivre et sévir à une grande échelle. Dans ce contexte d’extrême violence la situation de l’artiste était semblable à celle d'un Don Quichotte se battant contre des moulins à vent. C’est à ce moment-là que Zahra optera pour l’exil. En 1994 elle ira en France. Elle ne reprendra ses activités artistiques qu’en 1999. Durant cette année, elle signera successivement deux albums : « Une Algérienne d'Amour et de Liberté » dans lequel elle rend hommage aux artistes Kabyles tels que Allaoua Zerrouki, Chérif Kheddam, Karim Tahar ou les Abranis...suivi de « Médit'errance » qui a reçu le prix de la liberté. Dans celui-ci de nouvelles créations seront signées avec des textes de Larbi Belazzouz pour les chansons en français, Kamel Oulaldj et Lyazid Smail pour les textes en kabyle.
Zahra N’Soumer porte un regard plein d’espoir sur son pays même si elle avoue que les jours ne sont pas en rose. Pour elle combien même la situation est difficile il est évident que l’artiste peut contribuer à faire avancer les choses dans le bon sens. « Quelle que soit sa discipline, explique-t-elle, l’artiste par une sensibilité qui lui est propre cristallise la souffrance, l’éclaire, s’en fait l’écho. Il agit en révélateur d’une empreinte photographique d’un lieu, d’une époque et des mœurs d’une société où la prédation se fait plus raffinée, mais demeure.
Comme une sentinelle ou un phare, il éclaire les écueils d’une souffrance millénaire pour offrir un passage vers des eaux apaisées. En guetteur de nuit, il veille sur nos cauchemars pour les rendre plus doux. Porte-voix de l’espérance de rêves agités, il est ce ménestrel auquel machinalement nous jetons quelques pièces, sachant inconsciemment qu’il est cette part de nous n’osant pas s’exprimer. En crocus, il revient au cœur de l’hiver annoncer le printemps, car les humains, pour vivre, ont besoin d’espérer… « L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme. » Cette pensée d’André Malraux explique bien, selon moi, la raison de l’attachement porté par le plus grand nombre aux artistes. »