Après examen de la situation de la langue amazighe dans l'enseignement à la lumière de l'actualité de la rentrée scolaire, après plusieurs plaintes reçues des enseignants et acteurs associatifs de différentes régions du Maroc, après la lecture du document du MEN présenté à la deuxième session ordinaire du Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique les lundi et mardi 8 et 9 septembre 2014, l'Observatoire amazigh des droits et libertés, à la lumière de ces nouvelles donnes, déclare à l'opinion publique ce qui suit:
Les procédures prises dernièrement par le ministère de l'éducation nationale et exécutées par ses responsables locaux à l'égard de l'enseignement de la langue amazighe vont à l'encontre des engagements politiques et institutionnels de l'Etat marocain. C'est une concrétisation claire de la discrimination et du racisme culturel et linguistique et une régression qui menacent les acquis réalisés durant plus d'une décennie. Ceci se manifeste à travers les faits suivants:
-80 postes budgétaires ont été attribués cette année, aux enseignants lauréats de la section spécialisée en langue amazighe des centres de formation cette année scolaire, mais ils ont été surpris de se voir chargés d'enseigner l'arabe et le français. Malgré que ce chiffre (80) ne représente rien en comparaison avec les milliers de postes consacrés aux autres matières, le ministère décide de priver tamazight de ce nombre très réduit, sans ressources humaines impossible de continuer sa généralisation lancée depuis 2003.
-Arrêt de la mise en disposition des enseignants chargés de l'enseignement de la langue amazighe et leur orientation vers l'enseignement de l'arabe et du français après des années d'exercices et de formation, ce qui montre qu'il s'agit d'une politique de discrimination à l'égard de la langue officielle tamazight. Chaque jour, nous recevons des plaintes émanant de toutes les régions du Maroc, de plusieurs enseignants à qui la prise charge de l'enseignement de la langue amazighe a été retiré en faveur de l'arabe ou du français.
-Le déni total de la langue amazighe dans les documents du ministère de tutelle ainsi que ses plans stratégiques. À titre d'exemple : l'intervention du Ministre de l'éducation nationale le 9 septembre 2014 au Conseil supérieur d'enseignement, n'a tenu aucun compte de la langue amazighe mais a insisté sur « l'apprentissage des connaissances de base en langue arabe » et « la maîtrise des langues étrangères » Ce sont les données contenues dans le document de référence du ministère intitulé : « une nouvelle école pour le citoyen de demain ». Il est clair que le travail et les acquis de plus de 12 ans dans le domaine de l'amazighe dans le cadre de la convention IRCAM/MEN est piétiné et effacé.
Depuis que Monsieur Rachid Belmokhtar s'est chargé du Ministère de l'éducation nationale, on remarque clairement le manque d'intérêt porté pour l'enseignement de l'amazighe. Lors de tous ses interviews et rencontres de presse, il n'a jamais fait même allusion à la situation de la langue amazighe dans le système éducatif, contrairement à l'arabe et aux langues étrangères.Il a également ignoré toutes les demandes de rencontres adressées par des délégations intéressées par l'enseignement de la langue amazighe dont la confédération marocaine des associations des enseignantes et des enseignants de la langue amazighe,contrairement à l'ancien ministre Mohammed Elouafa qui après rencontre avec les responsables de l'IRCAM et un entretien avec des représentants de la société civile avait élaboré une note importante pour l'opérationnalisation et la généralisation de l'enseignement de la langue amazighe, l'instauration de l'enseignant spécialisé dans la langue amazighe dans les CRMFs, et l'inscription du nom des écoles, délégations et académies en langue amazighe à côté de l'arabe. Ce qui nous pousse à nous poser des questions sur les agissements de l'actuel ministre : les engagements de l'Etat sont-ils des engagements de principe ou uniquement de simples opérations laissées aux désirs des responsables. ?
Le Ministère dans son document officiel « une nouvelle école pour le citoyen de demain » a élaboré une vision stratégique pour 2030 tout en négligeant et en marginalisant une donnée constitutionnelle et institutionnelle au cœur de notre identité, la langue amazighe officielle. Nous avons donc le droit de nous poser la question : Quelle planification pour l'avenir sans prendre en considération les orientations de l'Etat, ses engagements et la loi suprême du pays ? Quel est le rôle du conseil supérieur de l'enseignement si le Ministère de l'éducation nationale a déjà tout planifié pour les prochaines vingt années ? Il est à signaler aussi que la société civile ainsi que les spécialistes ne sont pas représentés au sein de ce Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique. Des responsables politiques nous avancent, pour justifier l'ensemble de ces graves régressions, l'attente de la loi organique qui stipulera les étapes et les modalités. Ceci n'est qu'une tentative pour gagner du temps, étant donné que cette loi organique ne doit aucunement participer à la régression de la situation de la langue amazighe dans l'enseignement mais elle doit viser sa consolidation et sa réussite puisque l'amazighe est aujourd'hui une langue officielle. Rappelons que le ministère n'a pas attendu l'adoption de la loi de protection de la langue arabe citée dans la constitution pour consolider sa position, de même pour les langues étrangères.
Nous considérons que les décisions prises par le ministère de l'éducation nationale sont irresponsables. Il s'agit bien ici d'une violation des engagements relatifs à l'enseignement de la langue amazighe et de sa généralisation. L'enseignement de cette langue n'est pas une initiative ni un choix d'un quelconque ministre, ou d'un directeur d'académie ou d'un délégué. C'est une décision nationale en relation avec l'identité de l'Etat marocain. En conséquence, l'ensemble des institutions étatiques est obligé de la respecter et de la mettre en œuvre.
Etant assuré de ce qui est en train de se tramer contre la langue amazighe dans l'enseignement, à savoir une rétrogression sur les acquis réalisés pendant plusieurs années dans le cadre d'une politique lancée depuis 2001. Que ceci n'est ni plus ni moins qu'un complot dangereux qui met en danger l'harmonie sociale et la stabilité politique de notre pays du fait qu'il constitue un échec du projet de réconciliation initié par l'état depuis une décennie.
Que cette régression fondée sur la discrimination linguistique et culturel est contraire à tous les engagements du Maroc tant sur le plan national qu'international, et que le fait de promouvoir la situation de toutes les langues, d'en améliorer l'apprentissage et le rendement tout en privant de ce privilège l'amazighe, langue autochtone et officielle est un acte que nous dénonçons fortement.
Vu la situation alarmante, l'observatoire amazighe des droits et libertés appelle à la mobilisation de toutes les organisations amazighes ainsi que les forces politiques et civiles démocratiques pour faire face à toute tentative visant l'atteinte des droits amazighes fondamentaux soutenus par des références politiques et de droits humains entérinés au niveau national et international. Nous exigeons par ailleurs de l'état l'instauration d'une meilleure gouvernance de l'enseignement de la langue amazighe pour une meilleure gestion et un suivi effectif de l'ensemble des académies, la mise en place d'une stratégie claire pour améliorer la situation de la langue amazighe dans l'enseignement et pour réussir sa généralisation sur la base des anciens acquis et de ses quatre fondements : l'obligation, la généralisation, la standardisation, l'alphabet tifinagh ainsi que le recrutement et la formation initiale et continue des ressources humaines qualifiées en réservant de nouveaux postes budgétaires tout en relançant des sessions de formation gelées depuis des années.
Rabat, 20 septembre 2014
Meryam Demnati
Bureau de l'Observatoire Amazigh des Droits et Libertés (OADL)
Rabat. Maroc.