Mme Meryam Demnati n'est pas une inconnue et n'est surtout pas n'importe qui. Loin de là. Elle a roulé sa bosse des années durant sur le terrain du militantisme amazigh. Elle peut même être considérée comme l'une de ses premières figures féminines. Comme la situation des Amazighs et de leur culture devient de plus en plus désespérée, nous l'avons contactée pour qu'elle nous donne son point de vue. Lisons ce qu'elle nous dit !
Non seulement les amazighs ne sont pas représentés, mais leurs ennemis sont présents en force dans ce conseil. En 2010, le mouvement amazigh avait déjà fait campagne contre le conseil supérieur qui avait à sa tête Mezian Belfqih. Ce dernier proposait d'utiliser l'amazighe pour faciliter l'apprentissage de la langue arabe ; ignorant ainsi les acquis de l'époque : la convention signait entre l'IRCAM et le MEN où figuraient les 4 principes suivants : généralisation horizontale et verticale de l'enseignement de l'amazighe, obligatoire à tous les Marocains sans exception, transcription en alphabet tifinaghe, standardisation progressive de la langue amazighe. Le CSE avait reculé à l'époque et avait même gelé ses activités après le décès de Belfqih. Aujourd'hui, ce conseil revient à la charge et propose que l'amazighe soit enseigné seulement dans le primaire. En fait, l'approche participative dont se gargarise le gouvernement, n'est que mascarade et ce, dans tous les domaines. Les Amazighs et les autres associations de la société civile sont absents de toute prise de décisions. Dernièrement, nous avons démarré tout juste une campagne contre ce CSE, le mouvement amazigh n'ayant toujours pas compris que le domaine de l'éducation est VITAL pour la survie de notre langue et qu'il faudrait faire plus de pression. Il faut que nous soyons conscients que la formule la plus efficace pour éradiquer l'amazigh est celle de l'enseignement obligatoire de la langue de l'État pour tous et sa médiatisation à outrance, cela peut donner des résultats incroyablement rapides et graves d'une génération à l'autre.
Avant 2011, nous pensions que l'officialisation de la langue amazighe dans la constitution marocaine allait prendre encore beaucoup de temps. Il a fallu le 20 février pour que ce slogan se retrouve brandi dans la rue par la jeunesse et la majorité des Marocains. Tout est allé si vite par la suite. Les ennemis de l'amazighe dans le palais et les partis politiques arabistes et islamistes ont mis le paquet pour empêcher cela. Ils ont réussi à changer la formulation pour pouvoir par la suite jouer avec des subtilités juridiques et jouer avec le temps. Lois organiques ou pas, ce gouvernement aurait tout fait pour bloquer et renvoyer tout, aux calendes grecques. On a vu pire que ça dans le passé et on n'avait pas fait la prière de l'absent malgré tout. Nous avons toujours su que nos ennemis n'allaient pas nous étaler un tapis rouge. Bien au contraire, ils continueront à mettre en application « leur linguicide » programmé en utilisant tous les moyens possibles. La lutte doit continuer, et à chaque étape sa stratégie. On aurait souhaité que le mouvement amazighe soit plus visible, plus agressif, et surtout beaucoup plus uni.
Toutes ce discriminations s'inscrivent dans la politique de l'exclusion que les arabistes et islamistes diffusent dans tous les domaines. Ils sont présents dans toutes les sphères administratives et à tous les niveaux. Pour ces idéologies, toutes les langues autres que l'arabe et les religions autres que l'islam, représentent un danger pour leur « Oumma ». La diversité, le « vivre ensemble » et la tolérance, ils ne connaissant pas. Ils ont comme programme, l'homogénéisation de la société, et, ainsi, à faire en sorte que leur langue, et leur langue seule, leur culture et leur culture seule, leur religion et leur religion seule, soit celles de tous les ressortissants.
En ce qui concerne les prénoms amazighes, après que l'IRCAM (du temps de Chafik) et le mouvement amazighe aient interpellé le ministère de l'intérieur, les choses se sont améliorées petit à petit. Humain Right Watch que nous avions contacté, a aussi joué un rôle important auprès du pouvoir marocain. Aujourd'hui, une circulaire du ministère a supprimé toute discrimination envers les prénoms amazighes. S'il existe encore des interdictions, c'est soit dû à l'ignorance de l'agent, soit à son racisme, mais nous restons vigilants.
Le régime marocain (la monarchie) a toujours joué sur le maintien des équilibres, en tenant compte des rapports de force en présence, au niveau national et international. Si l'objectif des mouvances arabistes et islamistes nationales et internationales, c'est l'éradication de la langue et de la culture amazighe par le biais de l'enseignement et des médias pour une totale uniformisation , ce n'est pas toujours vrai pour la monarchie qui pèse toujours le pour et le contre et n'est soucieuse que de sa propre sécurité. Jusqu'à présent, les seuls acquis que nous possédons après toutes nos luttes revendicatives, sont issus de décisions royales (IRCAM : intégration à l'école et recherches et TV Tamazight) et non pas des soi-disant gouvernements qui se sont succédés. Acquis bien précaires bien sûr, mais que les arabistes et les islamistes n'ont toujours pas digéré et qu'ils minent autant toujours qu'ils peuvent.
Les amazighs devraient :
1-Avoir une stratégie où les priorités seraient ciblées. L'éducation et les médias sont des priorités parce qu'il y va de la survie de notre langue ;
2-S'ouvrir vers les autres organismes des droits humains ;
3-Faire du lobbying auprès des politiques ;
4-Organiser de grandes actions communes quand le contexte l'exige,
5-Faire un travail de proximité pour une plus grande sensibilisation,
6-Faire preuve d'innovations quant aux actions et aux moyens,
7-Devenir une force de proposition incontournable,
8-Renforcer les contacts et les échanges avec les amazighs de Tamazgha et de la diaspora.
Entretien de Lahsen Oulhadj avec Meryam Demnati. 18 Avril 2015.