Aytma d istma
S'umzwaru, asggas ighudan, asgass amaggas, s tghzift n tudeert, d'unuruz,
I imazighen, qah nessen, d imzedaghen n tmazirt nex, zeg mag ggan d mad llan, d imazdaghen n tmazgha qah nessen;
Surfati a d inix ca n wawal : timuzgha ur tigi gahs i'ban, maci ad less ca n yum taqbbut, d'uznar, ad iwett allun ad ini, hat amazigh ay gix. Timuzgha da t'illi g ul, d'ix.
Mraha I ingbawn nex nna didan g Kurdistan. Outat abeqqac.
Ad siwelx dghi s tafransist.
Rendre hommage à M. Mohammed Chafik, c'est rendre hommage à l'amazighité. Bien sûr que les effluves d'une certaine idée du Maroc étaient présents à l'orée de l'indépendance, mais ils furent réprimés. On présentait le soulèvement du Tafilalet comme étant l'expression de survivances féodales d'un caïd mal inspiré, et la langue amazighe devait mourir de sa belle mort. Certains, conscients des rapports de forces défavorables, avaient accepté de s'inscrire dans l'ordre des choses, négociant des strapontins, acceptant d'être des faires valoir..
Mais c'est à Chafik que nous devons le repli stratégique dans la sphère culturelle qui s'avéra salutaire. L'amazighité n'aura d'avenir que si elle se dote des armes de la pensée universelle. Chafik mènera, de concert, un double combat pour la préservation de la langue amazighe et la promotion d'un Marocain nouveau par le truchement de l'éducation, car il ne faut pas le perdre de vue, le combat de Chafik n'était pas exclusif. Il a longtemps milité pour une certaine idée du Maroc, idée qui doit nous inspirer et que nous devons enrichir.
C'est en pays amazighophone parmi les Ayt Sadden que Chafik vit le jour, et c'est dans le collège d'Azrou qu'il reçut sa formation de collégien qui préparait à de supplétives fonctions. Il subira le choc de la colonisation, le regard méprisant de l'officier des Affaires Indigènes, mais aura par la même occasion à s'initier à l'humanisme français, à goûter à la belle expression de la langue française, à limer son penchant rationnel, à se frotter aux épigones de la pensée universelle. Il sera marqué par celui qui était son maîtres et plus tard son inspecteur, M. Bisson qui trouva la mort, ultérieurement dans un accident de voiture aux faubourgs de Béni Mellal. Chafik immortalisa sa mémoire en rappelant une triste histoire quand des élèves du collège se mirent à insulter des filles de mœurs légères, passant dans les parages de la cour du collège. Bisson sonna la cloche pour sermonner ses élèves qui, selon une conception sommaire de la morale, se sont érigés en objecteurs de conscience. « Ces femmes sont malheureuses, le savez-vous, pourquoi avez-vous agi de la sorte ? » leur dit-il en substance.
Derrière le képi avec diadèmes du général, le regard dédaigneux du colon, il y avait un humanisme universel que cette langue charriait et que les jeunes collégiens d'Azrou apprirent à aimer. « La mort du loup » de Vigny ou les nuits de De Musset, tout comme « les contemplations » d' Hugo, furent des séquences marquantes dans la formation de ces élèves d'Azrou. Ils en puisèrent l'idée de sublimation, de stoïcisme et de grandeur.
Mais quand les élites citadines osèrent secouer le joug du colonialisme, en mettant en cause son artifice juridique, le traité du Protectorat, les jeunes d'Azrou firent le choix de la nation entière et exprimèrent leur adhésion au Manifeste de l'indépendance.
C'est à rappeler, car Chafik dans son parcours d'instituteur, qui le mènera d'abord à Medilt où il officia pour la première fois, retrouvera son ancien maitre, M. Bisson, devenu inspecteur, qui après la séance de cours, devisa avec lui, mi-narquois, mi-paternaliste :
- Alors vous êtes devenu watani ?
- Un peu, répliqua le jeune instituteur, intimidé.
- Eh, bien sachez que vous aurez votre indépendance, dans cinq ans, dix ans, tout au plus, car la France ne peut se permettre d'être à contre courant de l'histoire. Mais, n'êtes vous pas en train de tirer les marrons du feu ?
M. Bisson, hélas, avait vu juste.
Au collège berbère d'Azrou, il n'y avait, pour ceux qui ont excellé que deux filières, l'instruction publique, (peut-être aussi la charge d'interprète), ou l'armée, certainement la chair à canon à la puissance protectrice. Et longtemps, certains parmi les brillants officiers qui feront la guerre pour le monde libre et pour la France, la voie d'ascension pour eux et pour le monde était l'épée dans le giron de la France. Après l'indépendance, ils devaient faire face à une réalité amplement compliquée. Les élites citadines ne les voulaient que comme des supplétifs et nullement des partenaires. C'était à elles de redéfinir le Maroc et de tracer la voie. Elles avaient le verbe, les réseaux, l'habileté de jouer sur le registre de l'affect, les accointances dans l'Orient Arabe, la mauvaise conscience, voire la pusillanimité de certains milieux occidentaux. Et le Makhzen, fidèle à sa stratégie de survie, dressa les uns contre les autres, et pencha quand il fut secoué, du côté de ceux avec qui il partageait la culture faite d'à peu près, de subordination, d'intrigues et de mots creux...
Mais la bonne foi est la voie à la sublimation, quand bien même on se fait berner par des malins sans foi ni loi qui brandissent de nobles desseins et actionnent en sous-main de sordides manœuvres. Comme d'autres avant lui, comme d'autres après lui, Chafik avait cru à ceux qui parlaient au nom de nobles idéaux. Il a appris et fait apprendre cette langue qu'on voulait fédératrice, la langue arabe. Il a servi cette instance qu'on voulait l'expression de l'intérêt général et qu'on voudrait assimiler, improprement, à l'Etat. Il a suivi l'évolution du pays dans les années 60 et 70, comme le pourrait un être de pensée et de réflexion : avec une certaine distance certes, mais sans y être indifférent. Il était happé par son métier d'éducateur et faisait sienne cette réflexion d'un éducateur : le propre de l'éducation est de doter l'apprenti d'ailes pour qu'il puisse prendre seul son envol.
Mais on ne voulait pas d'une éducation qui émancipe mais plutôt celle qui crétinise. On ne voulait pas de têtes bien faites, mais celles remplies, au mieux de slogans, au pire, de formules creuses et éculées, nourries par le ressentiment. Les hautes instances, secouées par un mouvement de la rue et les soubresauts d'officiers en colère, firent le procès sommaire de l'amazighité que de la raison.
Ceux qui prônaient l'arabisation, mettaient leurs enfants dans les écoles françaises qui préparaient aux bons emplois, et géraient, excusez, l'euphémisme, une éducation, au rabais, dont on ne mesura les méfaits qu'une génération après.
Le Pouvoir se fera l'allié, voire le champion d'une arabisation forcenée et œuvrera à réinventer la tradition au détriment de la raison et du libre penser. La langue amazighe est promise à une belle mort, et ses locuteurs, s'ils veulent continuer à vivoter, doivent apprendre la langue arabe et la faire apprendre. Quant aux leurs, ils seront maintenus dans leurs « réserves », privés de leur terre, de leur eau, de leur forêt, de leurs rêves, de leur âme.
Chafik en tira les conclusions dans cette réflexion poignante, publiée dans la revue amazighe (n° 2, 1980), que je reproduis, ici :
« Il ne vous reste à parler berbère qu'à vos moutons ou à vos vaches, si on vous en a donné à garder. Une fois par an, on viendra vous mettre la corde au cou – car vous êtes une bête assez rétive et on vous conduira, parmi vos semblables, à un grand festival. Là, on vous demandera d'effectuer des pirouettes que vous avez appris à faire tout seul dans les champs et l'on vus montrera à de belles dames et de beaux messieurs, venus de loin, en leur disant : « voici d'authentiques Berbères ! Dommage qu'ils soient en voie de disparition, n'est-ce pas ? »
« Ne soyez pas complexé, ni découragé ! Vous crieront des compatriotes intelligents qui auront remarqué votre complexité. Mettez vous tout de suite à l'anglais, et vous aurez devance tout ce monde ! Commencez par apprendre que vous êtes un cow boy qui s'ignore ! »
Etre soi même, et quel meilleur repère que celui de la langue ! L'être et le devenir dans cette phase, étaient imbriqués. Mais comment être dans le devenir sans « l'être » ? Mais l'être sans le devenir, nous devons en être conscient aujourd'hui, est vain...
Que vive l'Amazigh, d'abord, ce réceptacle d'une âme, ce dépositaire d'une mémoire millénaire, cette clé qui peut nous ouvrir des pistes qui semblent verrouillées. Les ténèbres avaient jeté sur les lieux et les esprits une chape lourde. Safi Moumen décrit brillement cet état de fait dans son roman « Oussan Smmiden » (les jours froids). Et Chafik, dans un beau poème, « iddur wayur », (Et la lune s'éclipsa) exprimera, dans une formule imagée, la déliquescence des valeurs. La langue devient symbole, et Chafik lancera ce cri de ralliement sorti des tripes, cet appel, qui avait valeur de défi :
Yuger then, Yuger then
Awal nec ad ikker
Awal nex ad idder.
Pour que la lumière, Tifawt, puisse vaincre les ténèbres, il faut être soi même, et préserver ce réceptacle qui est la langue et se remettre au jugement de l'histoire, ainsi dit Chafik dans ce bel article « le substrat berbère de la culture maghrébine ». Et de commenter : « L'histoire qui arbitre souverainement, sait qu'aucune situation n'est définitive. »
Retenons cela.
Aytma d'istma
A quoi nous servirait la préservation de la langue, si on ne préserve pas, par la même, l'âme d'un peuple ?
A quoi nous servirait la langue, si on maintient toujours le rapport de subordination, feutré ou calfeutré ?
A quoi nous servirait la langue, si on perpétue la désunion de ses enfants, de l'oasis de Siwa aux rives de l'Atlantique ?
A quoi nous servirait la langue, si on ne voit pas avec ses yeux et on n'entend pas avec ses propres oreilles ? Peut-on voir avec le regard d'un autre ? Ne devons-nous pas guérir des chimères, des contre-vérités, ou des pseudo-vérités ?
Mettons la main à celles et à ceux qui veulent voir clairs, parmi nos compatriotes, de quel acabit qu'ils soient.
Soyons modernes, c'est-à-dire en phase avec notre monde et ses canons de pensée, et œuvrons à agir de concert avec ceux qui s'inscrivent dans l'universel. Soyons intelligents, c'est-à-dire, capables de séparer le bon grain de l'ivraie. Soyons sages, c'est-à-dire patients. L'histoire a bougé, elle bouge, inscrivons nous dans sa marche, résolument, mais sagement. Gardez à l'esprit qu'elle ne repasse pas les mêmes plats. Ainsi, cet hommage rendu à une grande figure marocaine, de la pensée, aura un sens.
Tudert i tmazirt nex
Tudert i warraw nes, qah nssen,
Tafuyet nex tulli, tekkilt-a
Duyat s dat.
Tanemirt.