Merci, classe politique, toutes tendances confondues, d'avoir brillé par votre absence dans les obsèques de cet enfant des contrées arides assassiné parce qu'il défendait la terre qu'il a hérité de ses aïeux. Vous n'avez pas jugé utile de vous déplacer parce qu'il n'est pas des vôtres, car nous avions pensé, naïvement que les vôtres étaient les nôtres.
Votre silence est expressif et édifiant. Merci, bourgeois, acteurs de la société civile, « intellectuels engagés », vous si prompts à manifester pour toutes les causes, et les causes sans causes, vous ne vouliez être indisposés par la mort d'un" paria", dans un coin perdu. Comment dites, vous ? Iknioune ? C'est où, déjà ? Merci nos pharisiens qui ont fait du message divin, un one way, celui qui mène à leur monde, aux leurs, et qui en exclue les autres, et qui n'ont même pas la délicatesse de se taire. Merci de nous avoir édifié qu'il y a désormais une amazighité halal, certifiée, celle qu'on exhibe à coups de turbans, de tambourins, voire des parlotes d'occasion, et qu'il y a une autre peu recommandable, qui va au fond des choses, qui refuse la fétichisation, qui communie avec le peuple. Chapeau bas pour le Makzhen, qui a été témoin par ses forces de sécurité de la rixe qui a mené à la mort d'un turbulent. N'est pas dit, que tout diable qui disparait, rend la tâche aisée aux anges ? Un de moins, qui s'en soucie ? L'enterrement sera géré selon les règles.... des années de plomb. La nuit. Dans l'anonymat. Et si par malheur, il y a du grabuge dans n'importe quel recoin de « l'Empire fortuné», gare au père ! Le Makzhen ne peut être en défaut, lui si compatissant pour les repentis et les déclassés, qui avaient atteint la date de préemption.
Izem n'était pas frappé de préemption ni n'était recyclable dans un quelconque réseau ou domestiqué par une quelconque sinécure. On l'enterre et on tourne la page. Sauf que la page n'a pas été tourné et ne le sera jamais. Merci, cher Occident, dont on a pleuré les morts, et avec qui on a compati, le 11 septembre, le 11 mars à Madrid, Londres, Charlie, Hervé Gourdel, le 13 novembre 2015, Bruxelles. Il a d'autres chats à fouetter, cet Occident généreux de belles paroles que de s'embarrasser du monde des « barbares », qu'il voit à travers le prisme de ses experts, selon la grille pertes et profits, et non en termes de principe et de valeurs, comme nous avions voulu le croire. Vous avez raison, Izem était coupable. Il était fidèle à l'histoire de son pays, à sa géographie. Il posait les bonnes questions, celles qu'il avait apprises dans le giron de Saghro, la nudité de ses contrées, dans les litanies de sa mère, le désœuvrement de son père, face au regard méprisant de l'agent d'autorité, les remontrances du prof qui se gaussait de son accent défectueux quand il lisait l'arabe, les conditions précaires à la fac, la modicité des moyens. Il s'est juré, malgré tout cela, de voler le feu sacré du savoir, avec cette avancée qu'il avait, sa conscience qui le prédisposait à saisir le fond des choses. Il avait comme modèle son aïeul Assou U Baslam qui a tenu tête aux généraux de la France, quand la France était la France. Il était le continuum de son combat. Il voulait que cessât chez lui la décrépitude, que les femmes cessassent de mourir en couches, et pour cela il refusait la mendicité, ou la générosité feinte, et posait la bonne question sur l'équitable répartition des richesses. On extrayait, pas loin de chez lui, à Imder, l'argent pour que les siens restent désargentés et cela l'interpellait. Mais Izem n'est pas mort. Il nous habite, ceux qui ont humé le même air que lui, ceux qui sont restés fidèles à leur terre, à son histoire, à sa langue (Akal, Ifegran, Awal), à son âme. Vous avez raison. Notre réalité est celle que vous avez décliné de deux mondes, deux poids, deux mesures. On a trop fabulé sur la nation. On a trop sollicité E. Renan. Par autosuggestion, par appréhension. Peine perdue. On vous a vu à l'œuvre : vous n'oubliez rien, quand il s'agit des vôtres. Serez vous étonnés si on se fraie notre voie, et qu'on vous refuse désormais nos voix ? Serez vous étonnés, si on cesse de feindre, et poser les véritables questions qu'on escamotait, pour des notions vagues, généreuses, naïves. O Occident, nous sommes encore édifiés, et on sera en devoir de fermer momentanément tes libelles sur les valeurs universelles. On potassera désormais « les damnés de la terre », on reviendra sur Ibn Khaldoun. Nous avons à l'esprit son soupir face à Tamerlan, de ce Maghreb déchiré. Nous sommes à temps, cher Ibn Khaldoun, pour l'unité. Et tu portes, ô Occident la responsabilité de ce que nous sommes, par tes tracés arbitraires et ton cynisme. Nous refusons tes tracés.
Nous rejetons ton cynisme, et nous déboulonnerons les obstacles que tu as dressés. C'est cela le cri d'Izem, pleuré par les siens, à Bejaia, à Taghrdayt ou à Azawad. Nous ne sommes pas seuls. Nous avons de notre côté, l'histoire, la géographie, le nombre et l'intelligence. Il nous manquait un héros dans cette phase de doute. Vous nous en avez doté. Merci...Il aurait été dur d'être votre obligé. Rappelez-vous de ce nom. Izem. Notre Messie. Il est mort pour que nous vivions. Et nous vivrons, en posant les bonnes questions, sans feindre cette fois-ci. Et qu'importe si les réponses font mal. Elles nous mettront dans l'orbite de l'histoire. L'Afrique aux Africains, disait l'ancêtre d'Izem. On vous aidera à déchiffrer ce cri, par les faits.
Hassan Aourid