Le 10 septembre 2004 disparaissait à l’âge de 62 ans Ali Sedki Azayku, l’un des pionniers du mouvement berbère. Historien émérite, poète moderne, "Dda Ali" a été, dans les années 80, le premier détenu politique de la cause amazighe.
En présence de ses amis les plus proches et de sa famille, Ali Sedki Azayku a été enterré à Igran, là-bas, dans son village natal près de Taroudant. C’était son testament. Ses dernières volontés dont sa fille, Tilila, a été la dépositaire. C’est ce qu’il voulait, reposer sous un arganier entre les plaines du Souss et les montagnes du Haut-Atlas. Ali Sedki Azayku est discrètement parti. Deux ou trois articles dans les journaux, passés inaperçus. Puis, plusieurs pages sur Le monde amazigh, où des militants lui ont rendu un dernier hommage : "Il était le militant le plus fidèle à la cause amazighe", écrit ainsi Mohamed Chafiq, l’un des plus anciens compagnons d’Azayku.
Comment pouvait-il en être autrement ? Arrivé à Marrakech à l’âge de 8 ans pour sa scolarité, c’est le choc. Pour le jeune garçon, berbérophone, l’arabe est une langue inconnue. Dans son propre pays, il se sent très vite étranger. Plus encore : "Dans sa région, il avait fréquenté l’école française où on le traitait de sale arabe. À Marrakech, on le traitait de sale chleuh", rappelle Brahim Aqdim, président de l’Association Mohamed Khaïreddine. L’identité, à partir de là, sera au centre de tous ses questionnements. Son obsession presque. Et c’est à 18 ans, écrit Claude Lefébure, "dans le milieu de l’école régionale d’instituteurs de Marrakech, un peu comme sortant d’une hypnose, il se ressent berbère".
À partir de là, tout pour lui, tourne autour de la recherche de son histoire et de celle des siens. Après un baccalauréat en candidat libre, il rejoint la faculté des Lettres et l’École Normale supérieure. Mohamed Chafiq se souvient : "Il faisait partie des étudiants qui apostrophaient le plus leurs professeurs sur la vraie histoire du Maroc" (cf. Le monde amazigh). En parallèle, l’homme écrit. Beaucoup. Des articles sur l’amazighité du Maroc, sur l’histoire du pays, qu’il revoit et corrige : "C’est lui qui m’a encouragé à lire les grands auteurs de l’Antiquité, à me pencher sur l’histoire du Maghreb, celle d’avant Moulay Idriss, celle qu’on n’enseigne pas", raconte Brahim Aqdim.
À Paris, il rejoint l’École pratique des hautes études et l’enseignement du berbère de Lionel Galand à Langues O. Au Maroc, pays "arabe", l’amazighité est encore à l’époque un grand tabou et tous ceux qui revendiquent la berbérité du pays sont taxés de "sécessionnistes". Pourtant, de retour au Maroc, où il est enseignant d’histoire à la fac, Azayku publie des articles sur les organes arabophones La voix du Sud ou sur Al Kalima, portant sur l’importance de la culture populaire que les pays tiers-mondistes continuent de taire et d’ignorer : "Azayku est le premier théoricien de la culture amazighe. Ses écrits, même ceux qui datent du milieu des années 60, continuent à influencer les jeunes générations de militants", précise Brahim Aqdim. L’Amrec (Association marocaine de recherches et d’échanges culturels) est créée et Ali Sedki Azayku en est alors l’un des piliers, jusqu’en 1967, quand il monte avec Ahmed Chafiq une autre association culturelle, "Amazigh" : "Il a quitté l’Amrec parce qu’il était convaincu que le militantisme culturel ne suffisait pas, qu’il fallait passer à l’étape supérieure. Aussi, l’association Amazigh était-elle plus politique, plus audacieuse, et revendiquait la reconnaissance de la culture amazighe et l’enseignement du tamazight", raconte Ahmed Assid.
Arrive l’année 1982. Dans l’une des éditions de la revue Amazigh, Azayku publie l’article intitulé : "Pour une véritable approche de notre culture nationale", où il écrit entre autres, que la culture et la langue amazighe ont été opprimées et qu’elles devraient retrouver la place qui leur est due. La suite, Tilila, sa fille, la raconte : "Ils sont venus le chercher à la maison. Pendant 18 jours, personne ne savait où il était". Azayku est arrêté et envoyé à Laâlou, ancienne prison de Rabat. Son procès, sa fille et ses proches s’en souviennent : "Son avocate est venue lui transmettre un message, celui de revenir sur ses propos. Il a refusé", raconte Tilila. L’année 82/83, Ali Sedki Azayku la passera en prison, devenant ainsi le premier détenu politique militant berbère.
La détention de Azayku ne sera pas sans conséquences sur le mouvement amazigh : "Son emprisonnement sera l’élément déclencheur d’une prise de conscience dans le milieu des intellectuels amazighs et beaucoup d’association sont nées à ce moment-là", rappelle Brahim Aqdim. Sorti de prison, Azayku est fragilisé. Ses amis les plus proches interviennent pour qu’il reprenne son poste d’enseignant universitaire. Et les choses reprendront leur cours. Militant berbère il était, militant berbère il restera. Il continue à publier des articles sur la culture amazighe, et à écrire des poèmes. En 1984 sort Timitar (signes) : "C’était son premier recueil de poésie. En plus d’être un grand historien, Azayku était aussi un grand poète. C’est le premier qui a modernisé la poésie berbère, en renouvelant sa construction, en y introduisant un nouveau lexique, des symboles de la culture amazighe et des éléments de l’histoire de cette culture. Par ailleurs, Azayku a traité des thèmes nouveaux, comme l’identité et la langue berbères", explique Ahmed Assid. Plus tard, en 1995, sera publié Izmoulen (cicatrices), entièrement écrit en prison : "Sa poésie a quelque chose de tragique, de triste, de véritablement profond et à la fois révolté", commente le chercheur qui a consacré une étude aux écrits d’Azayku.
À la création de l’IRCAM, Azayku rejoint le conseil d’administration de l’institut : "Pour Dda Ali - c’est ainsi qu’il était appelé en signe de respect - l’IRCAM était pour les militants une aubaine qui leur permettait de faire entendre leurs voix, raconte Meriem Demnati, amie proche d’Azayku. Il est resté fidèle à ses idées jusqu’au bout et n’a jamais pris de gants pour dire ce qu’il pensait". Tilila Sedki, quant à elle, évoque dans ces termes le combat de son père : "Ce qu’il espérait par dessus tout, c’était que les Marocains prennent conscience de ce qu’ils sont et qu’ils soient fiers de leur identité et ce jusqu’à son dernier souffle. Il estimait qu’un peuple qui ne connaissait pas son histoire ne pouvait pas aller de l’avant". L’histoire, celle qu’il a été chercher dans les livres, mais aussi dans les montagnes et les tribus les plus éloignées, non celle qu’il a décriée : "Il fait partie des premiers historiens à écrire que l’histoire du Maroc a été falsifiée d’une manière horrible et puérile", écrit Mohamed Chafiq. Et c’est probablement pour cela qu’il est parti, sans avoir eu la reconnaissance qu’il méritait. Pour cela aussi qu’il dérangeait. Mais c’est aussi probablement pour cela qu’il aura marqué l’histoire du mouvement amazigh au Maroc. Définitivement.
Il a écrit…
Berbère est le verbe en moi
Mais nul ne le reçoit.
Ces vers emplis de sens, qui, dessus, qui voudrait danser ?
Et moi, suffocant d’anxiété, contraignant la syllabe,
Je persiste à chanter pour des tympans bouchés.
Un poète assoiffé, c’est à lui d’engloutir la soif !
Berbère est l’idiome chez moi
Hélas bien peu lui font foi.
L’un dit : "Rêverie que tout cela", et sur ce m’abandonne
Non sans prophétiser : "Jamais ça ne percera".
L’autre s’écrit : "âpre passé, dangereuse relance,
Les gens refusent de partager ton mal".
Berbère pourtant, berbère mon parler franc.
À peine aura-t-il brisé entre nous la coquille, que vos cœurs flamberont
Comme autant d’astres unis dans notre part des cieux
Source: Telquel