Etat nation jacobin, centralisateur hérité du colonisateur, l’Etat marocain s’est édifié idéologiquement sur des mythes arabo-islamiques obsolètes et anachroniques, conforté par une répression et une négation qui ont fait de l’amazighité, identité, langue et culture, l’ennemi à abattre. Monolithique par essence et totalitaire dans ses fondements, l’Etat marocain a adopté une politique d’exclusion et de discrimination vis-à-vis de l’amazighité et de ses dépositaires. L’esclavagisme enrobé de religion.
Le racisme et le mépris, affichés ostensiblement à l’égard de
l’amazighité, ont inhibé les consciences, éreintées par les effets
dévastateurs de la colonisation qu’Imazighen ont subi de plein fouet,
formatées par un discours politique cynique, une école "arabocoranisée"
à outrance et des médias du tout arabe. L’Etat, qui s’est érigé en ennemi féroce contre Imazighen, en misant sur la disparition totale et définitive de l’amazighité (un ethnocide programmé), a hypothéqué son devenir. Les dégâts sont incommensurables. La gestion chaotique du dossier de l’amazighité a entraîné l’émergence d’une force sociale amazighe qui, tout en réhabilitant l’amazighité dans ses dimensions historique, politique, linguistique et culturelle, s’inscrit dans un cadre de lutte universel gouverné par des valeurs modernistes, en cohérence avec le fonds civilisationnel amazigh : la démocratie, la tolérance et le droit à la différence.
Le projet de l’Etat a conduit ses promoteurs vers l’impasse : l’amazighité se redéploie avec sérénité et dans la souffrance aussi. Le référentiel idéologique de l’Etat se confond avec les topiques obscurantistes et totalitaires. L’arabisation a entraîné l’intégrisme qui se recycle en terrorisme. Le mouvement amazigh avance. Les apprentis sorciers de la politique du ventre et les architectes de la nouvelle ère, frappés d’une cécité idéologique endémique, s’enfoncent dans la vase. La stabilité de l’Etat et de ses institutions risque d’être ébranlée. La politique de l’Etat se fonde sur des critères népotistes, corporatistes, ethniques et racistes. Le modèle imposé au niveau culturel et idéologique se confond avec celui d’un groupe minoritaire dont la légitimité politique et historique est plus que douteuse. La haine de tamazight et de l’amazighité a atteint des proportions cliniques. Comme en témoigne la répression sauvage qui s’est abattue sur les manifestants pacifiques amazighs à Boumal n Dades et au sein des universités. Comme en témoigne aussi les sévices subis par les étudiants amazighs à Meknès. La répression est perfectionnée : le militant Ouattouch Hamid, détenu à la prison de Sidi Saïd de Meknès, a été traité comme un animal par les barbouzes de la nouvelle ère de notre "Etat de Droit" : les flics ont fait preuve de création et d’innovation dans le domaine macabre de la torture. Ils l’obligèrent à se mettre nu à chaque interrogatoire mené par les experts de M. Bemoussa. Ils l’ont violé avec une bouteille. Ils l’ont tabassé des heures durant. Ils l’ont traité d’"amazigh fils de pute". Ils lui ont enfoncé le visage dans les toilettes. Parce qu’il est amazigh et veut le rester. Parce qu’il milite pour la cause d’un peuple colonisé sur sa propre terre. La panoplie des moyens de torture mis en place par les flics nous révèlent la vraie nature du pouvoir et sa conception palpable de la démocratie, de l’amazighité et des droits de l’homme.
Plus de quatre décennies après "l’indépendance", l’Etat est toujours loin d’être une réalité tangible, se limitant à un dispositif sécuritaire oppressant et un quadrillage territorial inaptes a amener l’adhésion du citoyen amazigh, qui ne peut s’identifier à un mirage idéologique "fabriqué". La gestion du pouvoir se fait continuellement dans l’exclusion de la majorité et dans la négation de ses spécificités. Les tensions identitaires au niveau national, alimentées par l’arrogance du discours du pouvoir, risquent de tracer des lignes de conflits, dont les symptômes sont visibles, qui seront source de déstabilisation. Car le conflit identitaire qui couve, nourri de frustrations, est le fruit de la politique d’exclusion sur des bases identitaires qui a taillé aux Imazighen un manteau d’"apatrides" sur leur propre terre. Des "apatrides" à assimiler et, surtout, à exclure de l’exercice du pouvoir réservé à une caste.
Dans beaucoup de pays la déstabilisation s’est opérée à chaque fois qu’un groupe dominant (les arabo-andalous au Maroc) cherche à s’affirmer dans la négation et l’assujettissement des autres identités. Dans notre pays, Imazighen refusent désormais de se laisser confiner dans un statut de citoyens de seconde zone et développent des réflexes de survie, s’organisent et risquent, faute d’une réponse conséquente, rapide et palpable, d’aller vers loin, légitimement. Le cas des Imazighen de l’Aïr qui ont pris les armes contre le régime despotique de Niamey devrait nous interpeller. Car derrière toute rébellion existe un soubassement identitaire.
L’Etat marocain devra prendre la question identitaire amazighe au sérieux. Faire son mea culpa et permettre aux roues de l’Histoire de tourner dans la bonne direction. La question des majorités minorisées et des minorités opprimées a pris des proportions, dans le monde, tel que les Nations Unies ont adopté, en 1992, la Déclaration sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses ou linguistiques. Et au Maroc Imazighen ne sont pas une minorité.
Le slogan déclamé par les tenants du pouvoir – du moment – quant à la coexistence dans la diversité, suppose, au Maroc, le droit, inscrit dans la constitution, des Imazighen de jouir de leur propre culture sans ingérence et de participer, pleinement et souverainement, aux décisions, toutes les décisions, nationales. L’intégration des Imazighen dans la construction nationale ne peut se faire sans une école qui enseigne la vraie histoire amazighe, les traditions amazighes, la langue amazighe. Une école "décrassée" de toutes les scories arabo-andalouses. Elle ne peut se faire sans une politique économique qui se fixe comme objectif prioritaire et immédiat le développement des régions amazighes, laissées à l’abandon, enclavées par rapport à un centre qui polarise tous les investissements et les cercles de décisions, composées d’amazighophobes déclarés et gravitant autour des cercles du pouvoir. Le problème de l’Etat-nation au Maroc est indissociable de la négation de l’identité autochtone qui rappelle au maîtres du moment la fragilité de leur légitimité. L’Etat-nation marocain restera une chimère, en dépit des mesures superficielles prises depuis quelques années en faveur d’une diversité de surface, car il reste tributaire, au niveau de ses fondements idéologiques, du désire d’une minorité d’incarner l’identité nationale, bien que l’environnement est amazigh. D’où la contestation légitime. La "marocanité" aurait pu être un creuset des multiples convergences marocaines dont l’amazighité constituerait le socle, mais cette "marocanité", telle qu’elle est perçue par la caste arabo-andalouse, se développe dans l’exclusion maladive et ethnique et la xénophobie. Elle s’inscrit toujours dans la négation d’une amazighité qui s’est développée à travers des siècles.
Les convergences socioculturelles au Maroc peuvent encore accroître les liens de solidarité et de coexistence. Hélas, elles sont exaspérées par des politiques d’exclusion manifestes menées par les prophètes de la nouvelle ère. Dommage que la diversité, comme l’a affirmé Marie Robinson, commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, ne devienne "un potentiel d’enrichissement mutuel" et permette à notre pays de s’inscrire contre les tendances uniformisatrices stérilisantes.
La reconnaissance, par le biais d’un discours officiel, de la plus haute autorité du pays, de l’amazighité et de la nécessité de la promouvoir et de la développer, devra être suivi de décisions palpables et surtout inscrire l’amazighité dans l’ordre constitutionnel marocain : tamazight comme langue officielle. L’ordre juridico linguistique, fondé sur l’exclusion identitaire, culturelle et linguistique que l’Etat-nation marocain a opposé à l’amazighité doit changer impérativement. Il s’agit, en officialisant la langue amazighe, de mettre fin aux incohérences et contradictions des dispositions du droit positif marocain. Enseigner tamazight est un droit, encore faudrait-il octroyer à cette langue un statut officiel et élaborer l’arsenal des textes législatifs relatifs à son enseignement, car, pour le moment, tamazight n’a aucun statut et son enseignement reste aléatoire, voir chaotique.
Le problème de fonds, évidemment, c’est l’Etat-nation. Ce dernier, ne conçoit aucun ordre juridique, linguistique ou autre, en dehors du monopôle de l’Etat sur la production du droit et considère qu’aucune réalité culturelle ou linguistique n’a droit de cité si elle n’est admise et octroyée par les dirigeants de l’Etat. Et l’Etat-nation marocain ne répond qu’aux aspirations idéologiques d’une caste d’amazighophobes.
Une caste qui, par souci de centralisme, est allé jusqu’à codifier les toponymes et les prénoms en les règlementant, pour anéantir notre mémoire amazighe. Une caste qui traque notre passé, falsifie notre histoire. Car, pour cette caste arabo-andalouse, amazighophobe, l’amazighité est une "psychose", et à défaut de trouver dans la société fantasmée et chimérique l’homogénéité linguistique rêvée, elle décidé de faire changer de langue aux citoyens. L’arabisation est menée comme opération de vandalisme et de saccage, appuyée par des lois iniques qui ont fait de l’arabe une obligation individuelle, un signe de souveraineté nationale assorti de sanctions pénales.
Le dynamisme de la mouvance amazighe au Maroc a acculé le pouvoir, qui tente toujours de gagner du temps. En 2001, le souverain marocain annonça la création d’une institution consultative, dédiée à l’amazighité et chargée de développer l’amazighité dans ses diverses facettes, pour l’intégrer dans les différentes institutions de l’Etat. Pour la première fois la norme juridique au Maroc était sollicitée pour permettre ce qui fut interdit des décennies durant. Le pouvoir, à sa façon, opère ainsi un revirement sur des positions idéologiques présentées jusque là comme irréversibles. Mais cette décision d’octroyer à l’amazighité une place dans l’ordre juridico linguistique est perçue comme une intrusion dans ce sens qu’elle ne résulte pas d’une révision claire et assumée de l’unicité (univocité) de l’ordre juridico linguistique et culturel inhérent au jacobinisme de l’Etat.
La reconnaissance de tamazight s’est faite hors de tout statut. L’inégalité avec l’arabe, en terme de norme juridique utilisée, est flagrante puisque l’acte réglementaire pour tamazight reste inférieur aux normes constitutionnelles et législatives qui régissent la langue arabe. L’arabophone et l’arabe se retrouvent "supérieurs" à l’Amazigh par la force de la loi. C’est pourquoi, après la création d’une institution dédiée à l’amazighité, les décisions prises par les responsables politiques évitent de mentionner ou de se référer aux textes favorables à l’amazighité, même si les décisions concernent des questions de politique linguistique. Ils les ignorent volontairement, fidèles à la politique d’exclusion par omission, adoptée depuis "l’indépendance". Tamazight est ainsi cantonnée dans un "monde" juridique parallèle à celui "officiel" qui domine la scène culturelle. C’est pourquoi l’on ne peut parler d’un ordre juridico linguistique amazigh. Car un système juridique en matière de langue est un système cohérent dans lequel le statut juridique reconnu de tamazight dans l’Etat occupe le centre de la problématique. La reconnaissance de tamazight a une valeur politique mais n’a aucun statut juridique. Dans l’état actuel des choses, il s’agit d’une perturbation de l’ordre juridico linguistique de l’Etat-nation marocain par un élément d’une logique qui lui est étrangère et qui ne remet pas en question sa nature jacobine et ses « constantes nationales ». L’absence d’une stratégie linguistique cohérente témoigne de l’inexistence d’une réelle volonté politique en la matière. En fait, les diverses réactions d’hostilités, voir de rejet de l’amazighité, émanant de dignitaires du pouvoir et de corporations politiques arabo-islamiques, même après le discours royal et la création de l’Institut royal de la culture amazighe, sont symptomatiques d’un Etat-nation arabiste qui, même lorsqu’il concède, semble mal supporter ses reculs face à la contestation citoyenne amazighe, comme une femme qui n’admet pas les conséquences de sa ménopause.
C’est dans la nature de l’Etat-nation jacobin marocain. Tamazight semble destinée à vivre parallèlement à l’arabe, en dépit des contradictions et des oppositions que cette situation implique, au niveau juridique. En fait, le modèle juridique de l’Etat-nation jacobin marocain qui fait de l’arabe et des Arabes les entités "supérieures" et "intouchables", se caractérise par le fait qu’il considère comme inexistante toute réalité sociale qui n’est pas intégrée et consacrée par l’ordre juridique officiel. Or l’Amazigh a non seulement besoin d’un statut officiel dans la constitution, mais aussi d’une discrimination positive au non du droit à la réparation historique qui lui est due pour contrebalancer l’ampleur de l’inégalité réelle que plusieurs siècles de négation lui ont fait subir.