Vous êtes née et avez grandi en Hollande, comment devient-on militant amazigh dans ces conditions ?
J’ai commencé à m’intéresser à la culture amazighe très jeune, à partir de l’âge de 12 ans pour être plus précis. En fait, je ne parlais que le néerlandais jusque-là. Pour ne pas être coupée de mes racines, ma mère a pensé qu’il était plus qu’important que je maîtrise aussi le tachelhit. Presque à la même époque, j’ai essayé d’apprendre parallèlement l’arabe à l’école publique, mais en vain. Pour la simple raison qu’il s’agit d’une langue extrêmement complexe et compliquée en même temps. D’autant plus qu’elle ne ressemble en rien à notre bonne vieille langue que mes parents parlaient et parlent toujours à la maison.
Il faut aussi reconnaître que j’avais la chance d’avoir une famille très portée sur la culture amazighe. Mes parents raffolaient des nouveautés du cinéma amazigh et écoutaient énormément la musique des rways, Izenzaren, ahwach... Mon père était même un rrays à la fin des années cinquante. À ce propos, il voue, encore et toujours, une grande admiration pour feu Haj Belaïd dont il aimait reprendre le répertoire musical. Quant à ma mère, elle n’était pas non plus en reste. Elle cousait beaucoup de broderies à base de symboles amazighs. Comme notre fameuse fibule (tazerzit). Elle préparait aussi toutes sortes de plats typiquement de chez nous : amlou, lebsis, tajine... Qui plus est, mes parents discutaient beaucoup de la situation des Amazighs au Maroc. D’après eux, s’ils étaient victimes de tant de discriminations, c’était justement parce qu’ils n’étaient pas arabes.
Est-ce que vous avez eu un déclic ?
Bien sûr, mais ce qui l’a provoqué en moi était un simple film amazigh dont le titre était quelque chose avec Tilila. Et plus précisément sa pochette sur laquelle il y avait des signes calligraphiques qui n’étaient ni arabes ni néerlandais. Toute curieuse, j’ai demandé immédiatement à mon père, qui m’a expliqué que c’était le tifinagh, l’alphabet avec lequel nos ancêtres transcrivaient notre langue. En réalité, j’ai pris conscience très jeune que notre langue n’est pas l’arabe, mais bel et bien le tamazight. J’ai commencé ainsi à me documenter en allant à la bibliothèque pour en savoir davantage sur mon propre peuple. Aux vacances d’été, lorsque je rentrais au Maroc, j’aimais beaucoup me ressourcer dans les montagnes d’Ida-ou-Tanane où mon père a vu le jour.
Chemin faisant, je me suis rendu compte que les Amazighs sont un peuple à part avec une culture riche et une histoire très ancienne qu’il faut impérativement protéger et préserver contre les aléas de la vie et surtout contre les dangers qui les guettent. En grandissant, je me suis alors intéressée à la politique. C’est là que je suis devenue plus consciente de la véritable situation sociale et politique des Amazighs. Depuis, j’ai pris l’engagement de tout faire pour améliorer leur situation et garder leur culture vivante en usant de ma double appartenance amazigho-européenne. Pour mes études, je fais beaucoup de recherches dans le domaine amazigh en rapport avec ma spécialisation : l’archéologie. À l’avenir, je ne vais me consacrer qu’à cela. Surtout que les possibilités qu’offre cette discipline sont encore malheureusement largement sous-estimées par nos étudiants amazighs.
At last but not least, mon souhait est que l’amazighité soit moderne sans rien perdre de ses spécificités qui la caractérisent tant. Beaucoup de gens pensent, à tort bien évidemment, qu’elle est dépassée et synonyme d’analphabétisme et d’autres préjugés du même genre. Nous avons une belle culture et une histoire riche que nous devrions préserver et les montrer, sans aucun complexe, au monde entier. Il faut que l’on soit fier de ce que nous sommes, à savoir des gens de la montagne. D’ailleurs, si notre culture et notre langue existent encore c’est justement grâce à ces valeureux montagnards et bien sûr grâce aussi- il ne faut jamais l’oublier- à la gent féminine, la gardienne par excellence de la culture amazighe.
Quelles sont les actions que vous avez entreprises en faveur de l’amazighité aux Pays-Bas ?
Nous faisons beaucoup de choses. Nous organisons à titre d’exemple des séances d’informations sur la culture amazighe dans les écoles et dans d’autres établissements éducatifs. Nous mettons aussi sur pied des rencontres entre Amazighs eux-mêmes et avec des étrangers s’intéressant à la culture amazighe. J’ai préparé quelques émissions pour la télévision néerlandaise et BRTV. D’ailleurs, cet été, j’ai réalisé un documentaire sur le Souss en collaboration avec la télévision néerlandaise. J’étais très contente de passer six semaines à concocter un bon travail sur la culture, la politique et la situation sociale des Amazighs du Sud.
De plus, nous avons mis au point des supports éducatifs pour apprendre le néerlandais pour les amazighophones. Il faut savoir qu’aux Pays-Bas, il y a une forte communauté d’immigrés de la première génération qui ne parlent pas du tout ou très peu le néerlandais. Il y a aussi les nouveaux arrivants pour qui ce doit être une très bonne méthode pour apprendre le néerlandais, c’est-à-dire le parler et l’écrire assez correctement. Mais il faut beaucoup d’efforts pour informer les gens et leur permettre ainsi de s’intégrer facilement en maîtrisant la langue de leur pays d’accueil.
Nous faisons également beaucoup d’activités à l’étranger, comme la création de Tamaynut-Îles Canaries à Tenerife. Il va sans dire que tout cela demande énormément d’efforts. Mais nous sommes très heureux de coopérer avec nos amis guanches. Notre dernier projet consiste dans la création de la Fondation Tamaynut de la femme amazighe pour le Forum féministe européen. À ce propos, c’est moi-même qui suis la coordinatrice de ce projet. Pour d’amples informations, vous pouvez cliquer sur le lien suivant :
http://europeanfeministforum.org/spip.php ?article181&artsuite=0〈=fr
J’espère de tout cœur que vous allez trouver tout cela intéressant. Même si c’est un projet qui est très prenant, car je suis amenée à voyager très souvent.
Et quoi encore ?
Nous collaborons aussi avec les hôpitaux en leur fournissant, à titre d’exemple, des renseignements en tamazight pour les diabétiques. En ce moment, nous travaillons sur un projet visant à préparer des informations au profit des écoles élémentaires sur l’histoire commune entre le Maroc et la Hollande. Ce projet est appelé "Mail uit Barbarije" inspiré par un livre écrit par M. Peter van Beek. Celui-ci y raconte l’histoire d’Abdel, un jeune garçon originaire d’Agadir, et d’une fille néerlandaise nommée Anne ; mais l’ensemble de l’ouvrage est sur le célèbre marchand néerlandais Michiel de Ruyter, qui a séjourné à Agadir durant plus de 8 mois en 1650. En fait, l’histoire entre les Pays-Bas et le Maroc a commencé avec lui. De fait, la relation historique entre le Maroc et la Hollande a commencé dans le Sud il y a plus de 400 ans, mais actuellement la plupart des immigrants marocains en Hollande sont originaires du Rif. Voici le lien si vous voulez en savoir davantage :
http://www.mailuitbarbarije.nl/
Est-il vrai que la communauté amazighe en Hollande est rongée par l’extrémisme religieux ?
Il existe effectivement une minorité dans la communauté amazighe néerlandaise, qui est fortement influencée par l’extrémisme, le fanatisme et même le terrorisme. Mohamed Bouyeri est célèbre à ce sujet. Mais nous avons également le Groep Hofstad, Samir A., etc, qui sont aussi des Amazighs pur sucre. À mon avis, la raison pour laquelle tous ces jeunes choisissent de se rebeller, en optant malheureusement pour le fanatisme, est due, en grande partie, à la discrimination qu’ils subissent aux Pays-Bas. Ils se trouvent donc seuls et n’ont personne pour leur tendre la main. Mais malheureusement, ils rencontrent toujours des extrémistes sur leur chemin. D’un autre côté, il y a ceux qui choisissent un autre extrémisme, l’athéisme.
Comme vous pouvez le remarquer, le problème avec les nôtres, c’est qu’ils ont une attirance étrange pour les extrêmes. Il ne faut même pas leur parler de juste milieu.
En fait, tout cela n’est jamais positif. Être musulman et amazigh est possible. Comment ? En prenant les avantages de l’un et de l’autre. Je crois fermement que les gens ne devraient en aucun cas exploiter l’Islam ou toute autre religion pour leurs propres intérêts personnels ou politiques. La religion doit être respectée. C’est quelque chose qui appartient à la personne et doit impérativement rester dans le domaine privé. Mais ce qui me dérange le plus avec la communauté marocaine en Hollande, c’est qu’elle se définit plus comme musulmane que marocaine ou amazighe. Oui, l’islam est sa religion, mais pas son identité. En fait, elle mélange tout d’où les dérives parfois meurtrières de certains de ses membres en rupture de ban.
Comment voyez-vous l’avenir de cette communauté amazighe en Hollande ?
Mon but dans la promotion et la défense de l’identité amazighe est d’amener les gens à comprendre qu’il est possible d’être musulman et amazigh, que nous pouvons faire une différence entre les deux. Si nous ne faisons rien, les choses iront de pis en pis. Plus grave encore, l’avenir de notre communauté ici sera compromis dans un proche avenir. Dans ce cas, les parents sont très importants dans notre stratégie. Ils doivent être systématiquement inciter à faire, désormais, la différence entre la culture et la religion et à ne plus confondre les deux. C’est pourquoi Tamaynut-Hollande travaille d’arrache-pied sur différents projets avec les écoles primaires. Mais il faut beaucoup de temps pour que les parents amazigho-néerlandais saisissent nos objectifs. Ils pensent, souvent malheureusement, que l’amazighité ne représente qu’une partie intégrante de l’identité arabe. Les pousser à renoncer à de telles idées, au demeurant absurdes, est extrêmement difficile, mais nous y travaillons, vaille que vaille.
Que pensez-vous de la place de la femme dans le combat amazigh que ce soit au Maroc ou à l’étranger ?
La place de la femme dans cette lutte est très importante, parce que la culture amazighe est et reste féminine dans une large part. Mais la plupart des femmes n’ont pas conscience de l’importance de leur rôle dans la préservation et la promotion de la culture amazighe. À cause des politiques, sociales et religieuses suivies le rôle de la femme amazighe est devenu aujourd’hui très infime. Elle doit travailler deux fois plus pour obtenir la reconnaissance de ses droits et de sa culture. Je pense qu’il est en général très difficile pour une femme de réussir au Maroc, même si ses droits civils se sont un peu améliorés avec la nouvelle "mudawwama" promulguée dernièrement.
Il est regrettable de constater que beaucoup de femmes amazighes ou arabisées sont encore analphabètes, mais tout cela est en train de changer dans un sens positif. L’éducation et une plus large prise de conscience de son identité sont, à mon point de vue, les choses les plus importantes pour une femme amazighe pour réussir dans cette lutte. De plus, nous avons des féministes au Maroc qui font ce qu’elles peuvent. En tous les cas, le combat des femmes n’est pas près de finir. Savez-vous qu’en Hollande, considérée comme progressiste à ce niveau, la femme gagne toujours un salaire inférieur à celui de son collègue masculin pour le même travail et avec les mêmes qualifications ? Vous devez aussi comprendre une chose, la situation de la femme amazighe en Europe est doublement difficile : elle doit travailler deux fois plus durement dans un environnement politique et social où le racisme et les discriminations sont, hélas, monnaie courante.
Quel type de rapport entretient Tamaynut–Hollande avec Tamaynut-Maroc ?
Nous avons de très bonnes relations professionnelles. Nous considérons notre association comme une section européenne de Tamaynut-Maroc, même si elle reste indépendance car elle a ses propres objectifs. Je pense qu’il est très important qu’une organisation comme Tamaynut obtienne une plus grande reconnaissance en raison de son travail et son sérieux. C’est pourquoi j’ai participé à la création de Tamaynut-Îles Canaries il y a quelques mois. Il y a d’autres qui travaillent sur le projet d’une association Tamaynut en Libye. J’espère que nous pourrons également mettre en place une section de Tamaynut dans le Nord du Maroc et même, pourquoi pas, en Algérie. Il est plus que vital que nous, tous, mettions la main dans la main parce que nous nous battons pour exactement les mêmes objectifs : la reconnaissance officielle de l’identité et la culture amazighes. Mon message personnel donc à tous les militants amazighs à travers le monde : nous devons sensibiliser nos populations pour les impliquer davantage dans notre combat. C’est la condition sine qua non de notre réussite. Il ne faut pas qu’il soit indéfiniment prisonnier aux mains de l’élite. Il faut le rendre davantage populaire.
Pour finir, que pensez-vous des dernières violences dans les universités marocaines ?
Je pense que nous devrions tous respecter les idées de tout un chacun sans jamais utiliser une quelconque violence même verbale. Le monde serait un endroit extrêmement ennuyeux si nous partageons tous les mêmes opinions. Aux militants amazighs d’avoir une approche plus intelligente des agressions dont elles seraient victimes et même les ignorer même si je sais que c’est très difficile. En tous les cas, je crois fermement qu’il ne faut jamais user de la violence comme un moyen d’expression.