Tinghir, Boumalne, Msmerir... Ces noms de lieux vous disent sans doute quelque chose. Ces communes du Haut Atlas marocain ont rassemblé des milliers d' amazighes en un rien de temps. Au Maroc, la conscience identitaire amazighe commence à gagner les esprits. Depuis quelques mois, la région qui reflète le mieux ce sursaut spectaculaire est sûrement le Sud-est du pays.
Enterrée par le makhzen depuis des décennies, la région amazighe du Sud-est vient de ressusciter. Et elle n' a pas l'intention de se laisser abattre une seconde fois.
Le Sud-est : une zone de non-droit
Au Maroc se trouve une région complètement mise à terre par le makhzen, au point même d' y avoir imposé un blocus économique très lourd de conséquences : le Sud-est. C' est une région morte depuis des décennies où la misère de la vie est devenue une banalité. L' an dernier, les Amazighs de cette région ont été victimes d' une vague d' inondations sans répit. Les destructions ont été très importantes malgré la rareté des infrastructures. Des Amazighs sont morts et dans l' indignité la plus totale. Nombreuses sont les familles qui attendent toujours des réparations, des indemnités mais surtout un minimum de respect de la part des autorités.
Le makhzen et et les médias qu' il financent ont complètement négligé et dédaigné cette population. Comme à son habitude. Cependant, l' indifférence de l' état a porté ses fruits. En effet, les Amazighs de cette région ont accumulé tellement d' insultes et de souffrances, en plus de l' arrogance de l' état qu' ils ont décidé de prendre leur destin en main. Le Sud-est est une région traditionnellement rebelle. Elle resurgit enfin et sa population n' a pas l' intention de se rendormir de sitôt.
Le chômage, la précarité, l' électrification inachevée, la difficulté d' accès à l' eau et l' absence de soins médicaux, l' exploitation fallacieuse de leurs ressources, la misérable situation des jeunes exclus de tout. Voici quelques maux que subissent les Amazighs du Sud-est. Sans évoquer bien-sûr une politique d'arabisation intensive et l' exploitation de l' argent par les agents du makhzen. On peut par exemple évoquer le transfert de l' argent des RME, première source de devises du pays mais là n' est pas le sujet. Ce sont, évidemment, des problèmes qu'ont tous les Amazighs au Maroc. Sauf que les Amazighs du Sud-est n' ont jamais été privilégiés, un temps, ni soutenus par l' état. Car ils lui sont tout simplement allergique depuis très longtemps. La différence réside aussi dans le fait que le Sud-est a décidé, très concrètement, de mettre fin à tous ses supplices. L' action entreprise par la Coordination des Ait Ghighouch y est pour beaucoup.
Sensibilisation de toutes les masses
Le MCA, mouvement estudiantin, en a pondu un autre : la Coordination des Ait Ghighouc. Sa création résulte d' un constat évident : tous les Amazighs, quelque soit leur condition sociale, leur âge ou leur sexe, doivent s' engager dans le combat amazigh qui n' est autre qu' un combat pour la dignité. Et les étudiants à l' université ne sont pas les seuls à réclamer ce droit on ne peut plus légitime.
Nous avons tous vu les vidéos circulant sur Internet, le véritable média des Amazighs. Hommes, femmes et enfants se sont levés pour marcher pacifiquement et protester contre le mépris qu' ils subissent chaque jour. Les revendications sont légitimes, nul besoin de le répéter. Mais c' est une véritable rage qu' ils ont exprimé et rien d' autre. La rage de vivre comme des animaux chez eux. Et ils le disent eux-même « Bhalna Bhal lhayawane »disent-ils parce qu' en plus, on leur demande de s' exprimer autrement qu' avec leur langue. C' est peut-être une comparaison dégradante mais réaliste. Même l' animal peut boire à sa soif et manger à sa faim.
Les personnes âgées, les enfants, les femmes, les ouvriers, les chômeurs et surtout les jeunes : tous en ont plus qu' assez de vivre dans la misère alors que d' autres Marocains résident dans de spacieux appartements. Alors que les élites du pays se déplacent en BMW pour acheter du pain à la boulangerie du coin ( car il y en a une ), même si son prix augmente, et vont au théâtre tous les samedis soirs. Ce ras-le-bol général est authentique et ne résulte nullement d' une éventuelle manipulation d' « activistes » amazighs. Il s' agit d' une réelle crise du Sud-est, région abandonnée par l' état et rayée de la carte depuis des décennies. Et il n' y a pas besoin d' étudier à l' université pour le comprendre.
Sursaut de la femme amazighe
A notre grand bonheur, la femme amazighe du Sud-est, grâce aux actions de sensibilisation des Ait ghichouch, est de plus en consciente. Et mieux : elle va même jusqu' à exploser sa rage en public. La pudeur, qualité et vertu des femmes amazighes où qu' elles se trouvent, a longtemps été utilisé comme prétexte pour la faire taire. De même que le machisme incontestable de certains « militants » amazighes qui ont cru, un temps, effacer le rôle de la femme dans la cause amazighe. La femme est tout simplement le moteur du combat du peuple amazigh et le machisme en est un des freins. Les Amazighs ont toujours honoré les femmes par le passé. Au point où on en a fait des Reines. Du « jamais-vu » chez les Arabes, par exemple où la femme est, malheureusement, considérée comme un déchet parmi d'autres. La couverture qu' elle porte chaque jour en fait foi.
L' extraordinaire prestation des deux femmes amazighes de Tilmi ( voir vidéo ) illustrent parfaitement notre propos. Nul besoin d' avoir un Bac+10 en poche pour demander une vie digne : « Hat sgharagh tamara !» ( « La misère nous a éduqué ! » rétorque une des femmes de Tilmi. En effet, la misère est une vertu car elle enseigne la sagesse. Mais le misérable n' a-t-il pas le droit de jouir d' un minimum de dignité ? Ces femmes amazighes du Sud-est sont complètement illettrées. Leur seul visage illustre la dureté de leur vie quotidienne. En demandant des juges amazighes, par exemple, elles ne font que demander l' officialisation de leur langue et rien de plus.
Même les enfants ne sont pas épargnés par le mépris absolu des autorités locales. La petite fille de Tilmi que l' on peut voir sur la vidéo est innocente. Mais c' est une amazighe authentique. Voilà pourquoi elle n' a pas le droit d' être consulté par un médecin. Sensibiliser la fille, c' est sensibiliser une future femme et une future mère. Et donc sensibiliser toute une génération.
C' est pourquoi il n' y a pas d' école à Tilmi comme dans ses environs. Le makhzen a une politique très simple pour abattre les populations amazighes :sa politique est de ne pas en avoir, justement. Ne pas soigner les Amazighs, ne pas les instruire, les isoler par l' absence de routes et d' infrastructures, leur rendre la vie très chère, les assoiffer et les affamer. Voici la politique du régime démocratique en place, au Maroc. Une politique de désocialisation absolue. En parallèle, on se lasse d' entendre parler de « lutte contre le désenclavement des zones rurales » à la TV....Il s' agit effectivement d' une lutte très intense du makhzen. Mais une lutte contre les Amazighs tout court.
La peur : changement de cap ?
La peur a toujours dominé nos Anciens. Nos parents et grand-parents ont toujours eu peur du makhzen. Et on peut le comprendre quand on voit comment cette peur a été alimentée par l' état marocain. Les réactions dignes de terroristes telles que les bavures policières, la torture et les arrestations arbitraires lors de rassemblements pacifiques en est une preuve. Mais la jeunesse amazighe actuelle ne peut, en aucun cas, l' accepter. Quand une personne a peur de quelque chose, c' est qu' elle a logiquement mal agit ou qu' elle a quelque chose à se reprocher. Les Amazighs n' ont jamais tué personne, ni volé quoi que ce soit. Les Amazighs n' ont pas lieu d' avoir peur.
C' est au gouvernement marocain d' avoir peur. Plus le réveil des masses amazighes fait surface, plus le makhzen est effrayé et, par conséquent, répond par la répression Plus les Amazighs du Sud-est feront entendre leur voix, plus trembleront ceux qui les gouvernent. L' image que colporte le makhzen à l' étranger est dorée et seuls les Amazighs pourront la polluer. Le makhzen vole le peuple marocain, donc les Amazighs, et l' a toujours volé. La lutte contre la corruption est un leurre et même récemment, lors des élections législatives théâtralisées, des élus ont usé de l' argent pour acheter des voix aux « électeurs ». C' est au gouvernement d' avoir peur des Amazighs et non le contraire. Les Amazighs sont chez eux et ne doivent absolument pas craindre les étrangers. Les Amazighs du Sud-est l' ont compris. Ils vivent chez eux, de leur terre et sur leur terre. Ils n' ont plus droit de fuir à l' étranger ( notamment les cerveaux du pays ) alors que ceux qui les gouvernent, eux, habitent dans des palaces et passe leur temps à hiberner sur leurs confortables sièges.
Les femmes, les hommes, les enfants du Sud-est n' ont plus peur et n' aurons plus peur. Mais surtout, le régime marocain ne pourra jamais les acheter. Même si on leur propose tout l' or du monde. La peur a donc changé de camp et les mentalités commencent à évoluer. Effectivement, la question de la « rentabilité » de tamazight se pose à chaque fois qu' on essaie de sensibiliser quelqu' un. A quoi bon se battre si l' on est pas payé ? La question est de savoir si les Amazighs connaissent la valeur de la dignité humaine.
Les femmes de Tilmi, elles, pourtant analphabètes, la connaissent : elle n' a aucun prix. Quand une femme amazighe,qui est née et qui a grandi dans une zone complètement pauvre, isolée de la modernité, de l' éducation, des nouvelles technologies, du monde explose sa rage publiquement pour revendiquer une vie digne, les « Amazighs n Srbiss », qui vendent même leur âme pour quelques dirhams, ne peuvent que rougir de honte...La peur doit se trouver dans le camp des vendus, des voleurs et des racistes. Elle n' a pas lieu de se situer dans le camp des victimes de la Hogra et des pauvres autochtones. Les Amazighs ne demandent plus rien : ils réclament !
Le nouveau gouvernement marocain, ou devrais-je dire, la nouvelle troupe de comédiens au pouvoir, est illégitime aux yeux des Amazighs. Parce qu' ils n' ont ni voté, ni élu qui que ce soit, et sûrement pas M. Al Fassi, celui qui leur a déclaré lui-même la guerre. Ce gouvernement n' est pas apte à répondre aux revendications des Amazighs puisqu' en plus d' être composé de personnes incompétentes, il ne fait que répondre aux ordres de la norme supérieure de la hiérarchie ( selon la théorie de la hiérarchie des normes...) Il s' agit là, en fait, d' une démocratie anti-démocratique, tout simplement. Les Amazighs du Sud-est n' ont fait que retroussé leurs manches. Au makhzen de faire de même...
Alahyan Fatima