L’année 2007/2957 qui s’achève a été la scène de moult événements dont le plus marquant est sans aucun doute les élections législatives. Des élections, sans être transparentes et caractérisées par un taux très élevé d’abstention, en l’occurrence plus de 75%. Ainsi l’ «ouverture politique » qu’a connue le Maroc avec le roi Mohamed VI, depuis 1999, s’est révélée du coup très limitée, malgré les initiatives prises en faveur des Droits de l’Homme, de la femme et de l’amazighité.
L’énorme espoir réveillé par la nouvelle ère n’a pas du tout été maintenu, ni conforté par le travail de l’Instance de l’Equité et Réconciliation (IER) - dont les recommandations sont restés lettre morte-, ou par l’adoption de la nouvelle Moudouwana, et encore moins par la création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM). En boycottant massivement les élections du 7 septembre dernier, les citoyens marocains n’ont fait qu’exprimer leur ras-le-bol à la farce du jeu politique !
La grande majorité des analystes marocains et étrangers a essayé d’expliquer l’abstention de vote, mais malheureusement sans oser soulever les vraies raisons quant au taux historique d’abstention. Ce boycott, qui interpelle tout le monde, et en première ligne la classe politique, devait s’accompagner d’un grand débat national, au lieu du feuilleton de la configuration du nouveau gouvernement de la part des conseillers et amis du roi.
En milieu urbain, la faible participation aux élections pourrait s’expliquer par le fait que la population ne voyait aucun signe de changement quant à l’amélioration de leurs situations socio-économiques. (Au contraire, juste après ces élections, celles-ci se sont empirées avec la hausse des prix des aliments de base). Dans ce cas, on peut parler d’un boycott « passif », caractérisé par un profond sentiment de résignation. En revanche, au sein des agglomérations urbaines, un certain boycott était notablement « actif », suivi par les sympathisants de la mouvance islamiste d’Al Adl Wal Ihssan et des partisans de gauche d’Annahj Addimocrati, malgré les campagnes publicitaires, à grands coût, des associations «Daba 2007», et «Afak » et du ministère de l’Intérieur, et surtout malgré l’appel du roi à travers son discours du trône. Par contre, en milieu rural et surtout dans les régions Amazighophones, le boycott en réponse à l’appel du mouvement Amazigh, - qu’il soit estudiantin, associatif et partisan du Parti Démocratique Amazigh de Maroc (PDAM) -, était un acte médité, volontariste et décidé avec conscience et responsabilité ; une expression explicite en faveur d’un profond changement politique.
La « majorité silencieuse » a dit « basta » ! Le fellah marocain ne veut plus rester le défenseur du Makhzen. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine du Maroc, des citoyens se sont prononcés pacifiquement en faveur du changement. Au lieu d’une « ouverture politique », ils réclament une authentique « transition démocratique » qui devrait s’amorcer avec une profonde et radicale réforme de la Constitution , en passant du modèle de la « Monarchie makhzénienne », absolutiste et traditionaliste, au modèle de la « Monarchie constitutionnelle », parlementaire et démocratique.
Lors de la pré campagne électorale, des militants Amazighs n’ont pas eu du tout tort lorsqu’ils appelaient au boycott, au sein de certains villages dans les montagnes, de prévenir leurs compatriotes que s’ils se déplaçaient aux urnes, ils allaient voter pour le maintien de « la Constitution des arabes » (dustur n iâraben) ! Ils étaient complètement conscients que l’actuelle Constitution, élaboré par les soins du défunt roi Hassan II, ne reconnaissait aucunement l’identité Amazighe, ni l’apport historique des imazighen à la défense de leur Etat-Nation. Encore moins la reconnaissance de leurs droits linguistiques et culturels. Elle reste tout simplement une Constitution qui concentre tous les pouvoirs au sein d’une seule personne dont la légitimité se base plus sur le fait religieux que sur la volonté populaire. Le disparu opposant Mahdi Ben Barka, figure emblématique du dit « mouvement national » et du nationalisme arabo-musulman, avait déclaré à Jeune Afrique (n° 129/8-14 Avril 1963) que : « depuis le traité du protectorat, depuis le 30 Mars 1912, la monarchie était complètement déconsidérée aux yeux du peuple. C’était le « roi des Français » et les Berbères avaient une formule pour le définir : ‘‘Agalid Er Roumi’’. Depuis 1943, le Mouvement national a restitué à la monarchie la légitimité qu’elle avait perdue’’. Ainsi, on est passé d’une « Monarchie des Français » à une « Monarchie des Arabes », matérialisée par la Constitution de 1963.
Néanmoins, les citoyens Amazighs ne veulent pas d’une « Monarchie des Chleuhs », en opposition à celle des Arabes. Ce qu’ils réclament c’est avant tout la réforme prioritaire de la Constitution en faveur d’une « Loi suprême » où se concrétise un Etat de droit et des Institutions, avec séparation des pouvoirs et la consécration des autonomies des régions (Sahara, Rif, Souss, Moyen Atlas…). Une Constitution où tout le monde s’y voit reconnaissant, qu’il se définisse « Arabe » ou bien qu’il s’identifie « Amazigh ». Une Constitution laïque où tout citoyen trouverait sa place, qu’il soit musulman, juif, chrétien, ou autre…
Comme les imazighen ne perdent jamais d’espoir et du fait qu’ils croient obstinément que des changements peuvent avoir lieu par des moyens pacifiques, ils font le voeux que 2008/2958 soit l’année de la réforme constitutionnelle. Bien sûr, cela dépend de la mobilisation des militants de la société civile et de la jeunesse des formations politiques, mais aussi et fondamentalement, de la volonté et de la générosité du roi s’il voulait entendre et répondre favorablement au message du 7 septembre 2007. A cet égard, l’Espagne n’aurait jamais pu réussir sa « transition démocratique » si le roi Juan Carlos n’avait pas eu le courage et la grandeur de partager le Pouvoir avec son peuple. qui en cette année 2008/2958, elle fêtera sa trentième anniversaire.
*le 13 janvier 2008 correspond au 1 janvier 2958 du calendrier amazigh (berbère).
Par Rachid Raha