Au Maroc le froid tue. Des alertes ont été lancées sur les réseaux sociaux, sur le grand réseau social Google une Alerte-info est retransmise quotidiennement. Et pourtant… Aux portes de Rabat, non loin de la ville de Khenifra se trouve le petit village naufragé d’Anfgou.
Pas très loin de Rabat, et pourtant…
En cette saison où l’hiver s’installe, dans cette région où la température avoisine les -16° vivent ou plutôt survivent près de 3000 personnes.
Des femmes, des vieillards, des enfants, des bébés…
Des bébés justement, quatre sont récemment morts de froid ! sans compter le bétail, que l’on ne considère pas mais qui est cependant partie intégrale de la vie rurale.
Et pourtant, durant l’année 2007, ou l’on avait dénombré plus de trente morts dont 26 bébés et quatre femmes, l’alerte avait été donnée, la société civile s’était mobilisée, avec ses moyens, les médias nationaux la chaine 2M notamment avait pris la peine de se rendre sur place et de diffuser un reportage des plus émouvants montrant le drame quotidien de ces abandonnés, montrant une vieille femme récupérant du bois mort !
Mais aujourd’hui, cinq ans après, les routes d’accès sont toujours impraticables, il n’y a toujours pas d’électricité, pas d’école, pas de médecins… pas d’hôpital à proximité…
2M n’est pas retourné sur les lieux… il a préféré montrer les montagnes enneigées du Rif, peut être pour ne pas heurter les sensibilités, pour ne pas monter qu’en cinq années l’Etat n’a rien fait, pour ne pas mettre les responsables devant leurs responsabilités et leur manquements. Peut être même dans le but d’une fuite en avant, pour embrouiller les esprits ou étouffer une situation qui devient de plus en plus alarmante.
Anfgou, loin de tout. Aucune administration, si ce n’est le garde forestier en charge de protéger la forêt… au cas où il viendrait à l’idée d’un paysan de scier quelques buches pour réchauffer sa famille.
Récemment nous avons été spectateurs d’une grande manifestation organisée par le Gouvernement marocain et ses relais.
Nous avons vu le cœur des marocains, devant la tragédie palestinienne, devant la tragédie syrienne. Nous avons vu l’engagement des communautés religieuses, les appels à aider leurs frères à Gaza ou en Syrie lors des prières dans les mosquées du pays.
Le Maroc a installé un hôpital de guerre en Syrie, il a collecté des fonds, y compris dans les mosquées marocaines de France, mais que fait-il au juste pour le Maroc et pour les marocains démunis ?
Que fait le Maroc sur son propre terrain, pour désenclaver les villages de montagnes, pour faciliter les transports, les communications, l’accès au soin dans ces régions ? Le Maroc ce n’est pas simplement une bande de sable le long du littoral atlantique, prochainement desservie par le TGV, ce n’est pas tout simplement l’axe Rabat-Kenitra-Casa, c’est aussi les montagnes du Rif, et tout l’intérieur des terres, fait de montagnes, de déserts, de villages disséminés…
Anfgou n’a pas besoin d’un hôpital de guerre. Ses habitants ont simplement besoin comme ceux d’autres villages de l’intérieur, ou du Rif, d’être enfin pris en considération car ils ont besoin d’eau potable, d’électricité pour se chauffer ou chauffer leur eau, ils ont simplement besoin d’être reliés au XXIème siècle par tous les moyens de communication (routes, téléphone, nouvelles technologies…)
Au Maroc la route tue, le froid tue, la pauvreté tue, la malnutrition tue.
Non loin de la capitale ! Non loin des pouvoirs publics qui s’intéressent apparemment plus à ce qui se passe en Palestine que sur leur propre sol.
Le Maroc est il aveugle au sort de ses propres citoyens ? Le Maroc vit-il dans le déni total de sa situation, de la situation de ses campagnes, de ses villages, de ses pauvres ? se complait-il dans cette auto-flagellation permanente ? Aidez les autres pour une grande cause humanitaire, oui, mais pas aux dépens des besoins vitaux de son propre peuple.
Pourquoi ne pas faire de la ruralité une cause nationale ?
Pourquoi l’Etat ne fait-il pas preuve d’intelligence politique pour une fois enfin reconnaitre qu’il y a au Maroc réellement un problème de ruralité et qu’il serait temps d’y apporter réponse urgente.
Des associations cultuelles de musulmans de France collectent des fonds par le biais des mosquées, pourquoi les religieux ne mobiliseraient-il pas à l’appel des prières, comme ils se sont maintes fois mobilisés pour les causes d’autres peuples ?
Si un religieux lançait la simple idée, à la prière des mosquées du Maroc, et pourquoi pas en France et en Europe, d’une obole hebdomadaire, ne serait-ce que de vingt euros pour sauver les habitants d’Anfgou, pour désenclaver d’autres villages du Moyen Atlas, du Petit Atlas, du Grand Atlas ou du Rif.... non par idéologie, mais par simple humanité.
Un homme en France, un religieux, avait lancé un appel lors d’un hiver meurtrier en février 1954. Il avait su toucher le cœur des français, leur ouvrir les yeux sur ce qui se passait dans leur propre pays. Pourrons-nous un jour rêver d’un Abbé Pierre musulman au Maroc ?
Ibrahim Messoud
Amazigh de la diaspora en Corse