Du 8 au 10 octobre 2010, des artistes amazighs ont participé à une rencontre culturelle organisée par la Fondation L’Abbaye de Royaumont. Autour de l’idée de la fusion musicale, cette rencontre s’intitulait « du Slam à l’Atlas ». Elle s’intègre dans le cadre d’un grand projet de plusieurs étapes qui vise à faire rencontrer les musiques du monde. L’idée est noble, mais en même temps soulève plusieurs problématiques que nous voulons partager avec nos visiteurs. L’équipe d’Amazighnews s’est déplacée aux lieux de la rencontre et enregistra une interview intéressante avec Lahcen Hira (anthropologue), Fatima Tabaamrant (chanteuse) et Khaled El Berkaoui (percussionniste). Nous les remercions d’avoir accepté notre invitation et d’avoir répondu à nos questions.
N.B : L’interview est faite essentiellement en amazighe et nous avons essayé de traduire fidèlement le contenu des propos de nos interviewés. Nous leurs présentons d’avance nos excuses, si jamais notre traduction ne reflète pas réellement leurs idées.
Mr. Lahcen Hira : Le concept est élaboré par la Fondation Abbaye de Royaumont, dans le cadre d’une idée générale qui consiste à faire rencontrer les différents styles de musique du monde. Les initiateurs de ce projet ont commencé l’année dernière par une rencontre auteur de la musique malienne, intitulée « Du griot au Slameur ». Cette année, c’est le tour de la musique amazighe du Maroc. C’est pour cela que la rencontre est intitulée « de Slam à l’Atlas » en faisant un lien entre la musique amazighe et la musique occidentale. On peut dire que le concept de ce projet se focalise autour de ce que l’on peut appeler « fusion ». Pour la mise en place de ce concept, une sorte de résidence artistique est mise en place. Elle permet la rencontre entre deux genres musicaux, amazighe de Souss et occidental. Le premier pas est fait sur scène à l’Institut Français d’Agadir, suivie, toujours dans la même ville, d’une autre rencontre d’une semaine, pendant le mois de juin 2010. Ici, au Royaumont, c’est un autre niveau pour améliorer le travail de fusion déjà fait auparavant lors des deux réunions précédentes.
Mr. Lahcen Hira : Tout d’abord je tiens à dire que la fusion a toujours existé dans les cultures. Au Maroc, Le groupe NASS EL GHIWANE avait fait de la fusion, de même pour la troupe amazighe USMAN. La fusion dont on parle aujourd’hui est un peu différente. On ne sait pas exactement ce que l’on veut dire par ce terme. S’agit-il de fusion d’instruments, de mélodies,… ? La fusion doit toucher à l’ensemble de la production musicale. La fusion est importante, mais pour l’avoir, il faut du temps. Ce genre de rencontres est limité au niveau du temps consacré et des moyens. La fusion reste un problème à discuter. Devant ces contraintes, la fusion recherchée peut même poser un problème parce que je trouve qu’elle va au détriment de nos cultures qui sont considérées incapables d’aller vers l’autre. On ne doit pas oublier que cette idée de fusion, telle qu’elle se présente aujourd’hui, vient de l’Occident selon ses critères, ses goûts et ses mesures. Ainsi, on pousse nos cultures à aller dans le sens contraire de ce qu’elles sont vraiment. Nos cultures, dans ce type de fusion doivent subir une sorte de dénaturation. Le risque est que nos cultures deviennent justes des éléments exotiques à coté de la culture dite « occidentale ».
Mr. Khalid El Berkaoui : Je respecte l’idée de Mr Hira, mais pour moi, je vois la fusion comme une chance pour la musique amazighe de dépasser les frontières et toucher d’autres horizons, d’autres cultures qui ne connaissent pas forcément ce genre de musique même si certains pensent que la fusion nie à notre musique et à notre culture. Moi je ne vois pas cela de cette façon. On peut en tirer l’exemple de la musique Gnawa. Via la fusion, elle a acquit une reconnaissance internationale, et attire des fans de toute culture, pourquoi ne pas faire la même chose pour la musique amazighe.
Fatima Tabaamrant : Qu’est ce que je peux vous dire, moi, je me base surtout sur le texte avant la musique, je privilégie plus la parole que la musique, car je suis porteuse d’un message. La question qui me préoccupe est : comment ce message peut-il arriver à un grand nombre de personne dans le monde? Car je ne tiens pas à me défaire de mon style, m’égarer de mon chemin, celui de la culture, des traditions. Ce qui me fait peur, c’est de décevoir mon public. Lorsque les organisateurs de cette rencontre sont venus me voir, je me suis dis, l’occasion est peut être là. Je me demandais comment ça va se dérouler exactement, je ne sais pas… Nous étions déjà venus participer à IZLAN au Musée du Quai Branly en 2009, c’était ma première expérience qui s’est très bien déroulée.
Avant je participais à des festivals où les gens ne comprenaient pas ce que je disais, et là, il y avait une traduction de mes chansons grâce au grand travail de Mr. Hira que je remercie infiniment. Avec cette traduction on peut dire que le message est passé et compris par les non amazighophones. C’est ce qui m’a encouragé à continuer l’ouverture sur les musiciens occidentaux et participer à cette rencontre.
Fatima Tabaamrant : Oui évidement, mais pour moi, je ne crois pas à une musique sans contenu. Nos instruments comme Tamtam, Talount et Ribab peuvent très bien accompagner la guitare, le saxo et le synthé. Il n’y a aucun problème pour la rencontre des instruments de musique, quelque soit son origine. Moi je travaille avec le banjo, la guitare électrique et le synthé, mais faire un album de cette manière au Maroc, je n’ai pas assez de courage, comme je vous ai dis, je privilégie le texte et les traditions.
Mr. Khalid El Berkaoui : Oui bien sûr. Tout instrument musical peut devenir international. Pour créer une bonne musique de fusion, il doit se faire avec la participation des musiciens mixte du Maroc et de l’extérieur. Chacun maîtrisant ses instruments, en harmonie avec les autres peut produire une bonne musique de fusion.
Mr. Lahcen Hira : Bien évidement, ces rapports existent et c’est ce qui m’inquiète dans ce projet. Même dans un mariage mixte, sans parler même de musique, un homme qui se marie avec une française, est obligé de vivre la domination de l’européen. Le Ribab face à un piano, il y a une grande différence. Quant ils jouent ensemble le Ribab se trouve écrasé face au piano. C’est le meilleur exemple de rapports de domination qui agissent dans ce contact. Celui qui propose c’est toujours l’autre, « l’occidental » et pas nous. Quand il propose, il a les moyens d’orienter, de diriger et d’imposer, car c’est lui qui a les moyens financiers. C’est lui qui décide de ce qui doit être accepté ou non. C’est pour cela qu’on a besoin de négocier longuement. Avec la fusion on peut devenir une autre manière de donner l’avis à ceux qui ont besoin au détriment de notre culture. Il faut qu’on ait des artistes qui peuvent négocier, le problème est que nos artistes sont dans l’incapacité de moyen de toute sorte. Avec la rencontre que j’ai eus ave Mr Frédéric Deval, directeur artistique de ce festival, on était rassurés qu’il y avait un peu plus d’écoute à notre manière de faire la musique. C’est à ce moment là qu’on est allés voir Raissa Fatima Tabaamrant pour qu’elle accepte ce genre de travail. C’est une expérience importante, un genre d’expérimentation.
Fatima Tabaamrant : Finalement, c’est toute la question. Je ne tiens pas à perdre mes fans. Si on perd notre langue, on perd tout. Mon public attend de moi un message engagé, et si il n’y a plus de message, tout va se fondre. L’armarg de Ribab, il faut qu’il existe toujours, et il faut valoriser encore plus cet héritage. C’est un engagement pour moi, j’essais toujours de l’imposer dans ma musique qu’il soit dans mes spectacles à l’intérieure ou à l’extérieur du Maroc.
Mr. Khalid El Berkaoui : Pour faire de la fusion, il faut avoir un certain bagage, il faut avoir une culture musicale ouverte sur les expériences du monde. Je suis fondateur du groupe Inouraz à Agadir. Au début, on était juste un duo moi et Foulane, et on ne faisait que de l’oriental. Un jour, Brahim Elmezned, directeur artistique du festival Timitar, m’a dit « il faut que tu t’intéresses à moderniser la musique locale de Souss par la fusion ». J’ai bien réfléchi et ai regroupé quelques artistes comme Hassan Boumlik, Fadil, Mustapaha Amal, spécialistes d’instruments traditionnels, Loutar et Ribab. La musique de Inouraz est très soft et acoustique est se présente comme un mélange de plusieurs instruments locaux, indiens et africains etc. Une sorte de voyage entre plusieurs styles musicaux mondiaux. Je pense que dans l’avenir les gens vont accepter ce mélange grâce aux médias et l’Internet.
Mr. Lahcen Hira : Certainement, par exemple, quand on parle aujourd’hui des musiques du monde c’est une idée qui remplace les musiques populaires, primitives et autochtones utilisées auparavant. Ce sont des mots qu’on change selon les contextes. Les premières appellations considéraient la musique de l’autre (non européen) étrangères, primitive et qu’il faut la rendre plus évoluée. On les voit comme des musiques très rythmiques. Certes, il n’ y a pas encore d’études pour valider ce que je viens de dire, ce sont juste des impressions personnelles. Dans ce sens, en guise de comparaison, c’est eux qui, en premier temps, ont choisi la musique GNAOUA et non les autres styles musicaux comme les ISSAWA ou autres. Il a fallu attendre un peu de temps pour qu’ils comprennent que les rythmes des ISSAWA méritaient aussi un travail de fusion. Dans l’état actuel des choses, je considère que la fusion est comme une mobylette avec un «Chwari». Au moment où, les occidentaux écoutent moins notre musique, ils nous demandent, pour être considérés comme moderne, d’écouter plus leurs musiques. Ils sont dans une position confortable pour rentrer dans nos traditions mais pour les notre, ceux qui sont ancrés dans la tradition, je crois que la fusion leur pose des lacunes, et s’arrête toujours. On a du mal à suivre.
Fatima Tabaamrant : Généralement, tous les artistes accepteront de participer à ce genre d’événement s’il y a des demandes. En générale, les artistes amazighes sont habitués à travailler de manière traditionnelle. Ce genre de rencontre est difficile pour eux, même moi j’ai trouvé quelques difficultés mais grâce à dieu, je suis tombé sur des gens bien, patients, compréhensibles et professionnels.
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